La surdité cachée, ou hidden hearing loss (HHL), est un trouble auditif caractérisé par des difficultés de compréhension de la parole en milieu bruyant alors que les seuils audiométriques restent dans les limites de la normale. Ce déficit auditif, longtemps sous-estimé, passe inaperçu lors des tests auditifs classiques, notamment l’audiométrie tonale liminaire, ce qui a retardé sa reconnaissance clinique. L’intérêt pour cette pathologie a augmenté ces dernières années à mesure que les recherches ont permis d’en élucider les mécanismes physiopathologiques et d’explorer des solutions d’appareillage spécifiques.

Sur le plan épidémiologique, la prévalence de la surdité cachée est mal définie, mais il est probable qu’elle soit sous-diagnostiquée. Certaines études estiment qu’un patient sur dix consultant pour une gêne auditive quitte la consultation sans solution, faute d’anomalies objectivables aux tests conventionnels. De nombreux cas pourraient être dus à des atteintes cochléaires « invisibles » aux examens standards. Cliniquement, la surdité cachée peut s’accompagner d’acouphènes, d’hyperacousie et d’une fatigabilité auditive accrue, affectant la qualité de vie des patients. Certains individus rapportent également une sensation de surcharge auditive, une intolérance aux sons complexes, ainsi qu’une difficulté à localiser la provenance des sons, ce qui peut entraîner des difficultés dans les interactions sociales et professionnelles.

Physiopathologie des surdités cachées

Les mécanismes sous-jacents à la surdité cachée impliquent principalement des altérations des synapses entre les cellules ciliées internes et les fibres nerveuses auditives, un phénomène dénommé synaptopathie cochléaire. Cette atteinte cible principalement les fibres auditives à faible taux de décharge spontanée, qui jouent un rôle essentiel dans l’audition en milieu bruyant. Contrairement aux surdités neurosensorielles classiques, qui résultent d’une perte des cellules ciliées, la surdité cachée est associée à une altération des voies afférentes primaires sans affecter significativement les seuils audiométriques.

En plus de cette atteinte synaptique, la démyélinisation du nerf auditif induite par le bruit pourrait également contribuer à la pathogénie de la surdité cachée. L’exposition répétée à des niveaux sonores élevés altère la conduction nerveuse et perturbe la transmission efficace du signal auditif, sans pour autant induire une perte de sensibilité audiométrique. L’accumulation de dommages cochléaires non détectés peut ainsi compromettre progressivement la compréhension de la parole, notamment en ambiance bruyante.

De plus, il a été démontré que des facteurs génétiques peuvent prédisposer certains individus à une plus grande vulnérabilité à la synaptopathie cochléaire. Des mutations affectant la signalisation neurotrophique pourraient altérer la capacité du système auditif à récupérer des dommages, augmentant ainsi le risque de dégradation des synapses auditives. Ces recherches ouvrent la voie à des stratégies thérapeutiques ciblées basées sur la modulation de la plasticité neuronale et la réparation des connexions synaptiques.

Avancées diagnostiques récentes : tests spécifiques et imagerie

Le diagnostic de surdité cachée requiert des explorations auditives poussées, visant à objectiver des déficits subtils passés inaperçus aux tests standard. Ces dernières années, plusieurs tests spécifiques ont émergé pour améliorer le repérage de ce trouble. Parallèlement, les outils d’imagerie contribuent à écarter d’autres lésions et à localiser le site d’atteinte dans la voie auditive. Les recommandations cliniques actuelles préconisent d’adresser ces examens ciblés dès qu’un patient présente une plainte auditive prédominante dans le bruit avec audiogramme normal ou subnormal, en particulier s’il a des antécédents d’exposition au bruit.

Tests audiométriques et électrophysiologiques spécifiques

  • Audiométrie tonale étendue aux hautes fréquences : il est démontré que les patients souffrant de synaptopathie cochléaire ont souvent une atteinte des très hautes fréquences (au-delà de 8 kHz) que l’on ne teste pas en audiométrie usuelle. On retrouve ainsi des seuils anormalement élevés dans les hautes fréquences chez ces patients. L’audiométrie haute fréquence est donc un outil précieux pour détecter des « micro-pertes » auditives initiales.
  • Audiométrie vocale dans le bruit : ce test évalue la capacité de compréhension de la parole dans un environnement bruyant. Un score de compréhension dans le bruit anormalement bas, comparativement à une compréhension en silence préservée, est très évocateur d’une surdité cachée. Ce test est indispensable pour quantifier l’intelligibilité de la parole en situation réelle et mettre en évidence le déficit d’intégration du signal sonore masqué par du bruit.
  • Otoémissions acoustiques (OEA) : les otoémissions provoquées explorent la fonction des cellules ciliées externes. Elles sont le plus souvent normales en cas de surdité cachée d’origine synaptique, ce qui aide à confirmer que l’atteinte n’est pas au niveau des cellules ciliées elles-mêmes. En outre, la comparaison OEA/PEA (voir ci-dessous) est utile pour dépister une neuropathie auditive. En effet, une neuropathie auditive se caractérise typiquement par des OEA normales avec des potentiels évoqués absents ou altérés – un profil différent de la synaptopathie cochléaire pure.
  • Potentiels évoqués auditifs du tronc cérébral (PEA) : ce sont des réponses électrophysiologiques mesurant l’activité synchrone du nerf auditif jusqu’au tronc cérébral. Chez les patients présentant une surdité cachée (synaptopathie), les PEA peuvent montrer des anomalies subtiles non détectées par les tests subjectifs. En particulier, on peut observer une réduction de l’amplitude de la vague I de l’ABR (réponse auditive précoce) en réponse à des sons forts, reflétant la perte de fibres auditives actives. Ce critère est utilisé en recherche pour objectiver la synaptopathie. Par ailleurs, des PEA anormaux avec OEA conservées orientent plutôt vers une neuropathie auditive (atteinte de la synchronisation nerveuse).
  • Électrocochléographie (ECoG) : cet examen spécialisé enregistre au plus près de la cochlée les potentiels électriques générés par le son. Un signe caractéristique proposé pour la surdité cachée est une élévation du rapport entre le potentiel de sommation (SP) cochléaire et le potentiel d’action (AP) du nerf auditif . Concrètement, on retrouve un rapport SP/AP anormalement élevé chez certains patients, similaire à celui observé dans la maladie de Ménière . Cette anomalie traduirait la diminution de l’amplitude du potentiel d’action (par perte de fibres nerveuses synchrones) associée possiblement à une relative augmentation du potentiel de sommation. En pratique, l’ECoG peut donc aider à détecter une atteinte cochléaire cachée chez un sujet aux tests audiométriques normaux mais à la plainte évocatrice.

Ces examens spécifiques complètent le bilan auditif standard (audiométrie tonale et vocale en silence) qui, rappelons-le, est souvent normal dans ce contexte. Ils permettent de localiser plus finement le site de la lésion le long de la voie auditive : atteinte cochléaire (par exemple mise en évidence d’une synaptopathie), atteinte du nerf auditif (suspicion de neuropathie auditive) ou atteinte plus centrale. Il convient de souligner qu’un bilan audio-psychologique central (tests de traitement auditif central, tests dichotiques, etc.) est également indiqué lorsque l’on suspecte un trouble central isolé du traitement auditif – par exemple chez un enfant avec suspicion de trouble de l’audition centrale (voir plus loin).

Apport de l’imagerie diagnostique

L’imagerie médicale intervient surtout pour le diagnostic différentiel et le bilan étiologique des surdités cachées. En première ligne, l’IRM cérébrale avec séquences des conduits auditifs internes est recommandée lorsqu’on suspecte une atteinte rétrocochléaire (nerf auditif ou centres auditifs) pouvant expliquer la discordance entre la plainte et l’audiogramme. L’objectif est notamment d’éliminer des lésions telles qu’un schwannome vestibulaire (neurinome de l’acoustique) de petite taille – qui peut parfois engendrer des troubles de l’intelligibilité disproportionnés avant même d’élever les seuils –, ou une demyélinisation du tronc cérébral (comme dans la sclérose en plaques débutante) pouvant affecter la synchronisation du message auditif . De plus, des anomalies centrales dégénératives (atteintes des voies auditives corticales) peuvent être recherchées en cas de suspicion de trouble auditif central pur. Des techniques d’imagerie fonctionnelle (telles que l’IRM fonctionnelle) sont explorées dans le cadre de la recherche pour étudier l’activation des aires auditives chez les patients avec surdité cachée d’origine centrale, mais elles ne font pas partie du bilan standard à ce jour.

En synthèse, le diagnostic de surdité cachée repose sur un ensemble d’indices cliniques et paracliniques : plainte évocatrice (gêne prédominante dans le bruit), tests audiologiques spécifiques anormaux malgré une audition périphérique normale en apparence, et élimination des autres causes par l’imagerie et les explorations appropriées. Une fois le diagnostic établi, il faut déterminer la nature de l’atteinte (cochléaire, neuropathique ou centrale) car cela orientera la prise en charge.

Diagnostic différentiel des troubles auditifs « cachés »

Le tableau de surdité cachée doit être distingué des autres types de troubles auditifs qui peuvent présenter des symptômes similaires (difficulté à comprendre, fatigue auditive) mais dont le mécanisme et la prise en charge diffèrent. L’approche différentielle repose à la fois sur l’analyse des tests audiologiques et sur le contexte clinique. Voici les principaux diagnostics à considérer face à une suspicion de surdité cachée :

  • Surdité neurosensorielle périphérique classique : à la différence de la surdité cachée, une atteinte neurosensorielle « classique » (par ex. presbyacousie avérée, ou surdité due à un traumatisme sonore avec perte de cellules ciliées) se manifeste par une élévation franche des seuils audiométriques. La compréhension de la parole est altérée de manière proportionnelle à la perte de décibels. Ainsi, si l’audiométrie tonale montre un déficit significatif, on s’éloigne du diagnostic de surdité cachée pour expliquer la gêne du patient. Néanmoins, une surdité neurosensorielle légère peut coexister avec une composante de surdité cachée – par exemple une presbyacousie débutante combinée à une synaptopathie due au bruit (). Dans ce cas, l’audiométrie est peu altérée mais la compréhension dans le bruit disproportionnellement mauvaise, attirant l’attention sur une composante « cachée ».
  • Presbyacousie et troubles liés à l’âge : la presbyacousie typique s’accompagne d’un audiogramme tonal anormal (perte prédominant sur les hautes fréquences) et d’un retentissement sur la compréhension en accord avec cette perte. Cependant, chez certains sujets âgés, une plainte majeure de gêne dans le bruit avec une perte audiométrique modérée doit faire évoquer soit une surdité cachée cochléaire associée, soit un trouble central. En effet, il existe des cas de presbyacousie centrale (atteinte des voies centrales du traitement auditif, voir plus loin) pouvant multiplier les difficultés auditives indépendamment des seuils périphériques (). Le caractère insidieux et tardif de la surdité cachée liée au bruit peut aussi faire croire à tort à une simple presbyacousie d’apparition précoce (). Une anamnèse minutieuse (recherche d’expositions sonores passées, d’antécédents d’acouphènes transitoires post-exposition) aide à différencier les deux.
  • Neuropathie auditive (troubles du nerf auditif) : les neuropathies auditives – appelées aussi troubles du spectre des neuropathies auditives (TSNA) – correspondent à une dysfonction de la transmission neurale entre la cochlée et le tronc cérébral. Elles peuvent se manifester cliniquement par une baisse de compréhension disproportionnée, similaire à une surdité cachée. Toutefois, le profil des tests complémentaires diffère : on observe classiquement des otoémissions présentes et des potentiels auditifs (PEA) très altérés, traduisant un défaut de synchronisation des fibres nerveuses auditives. Les neuropathies auditives ont souvent des causes spécifiques : mutations génétiques (par ex. mutation OTOF dans la neuropathie auditive congénitale DFNB9), neuropathies liées à des maladies systémiques (diabète, neuropathies héréditaires type Charcot-Marie-Tooth, ou atteintes du nerf VIII (petites tumeurs intra-canalaires). Par rapport à la surdité cachée synaptique pure, la neuropathie s’accompagne plus volontiers d’anomalies dès l’audiométrie vocale en silence (discrimination très altérée même sans bruit ambiant) et peut toucher aussi bien l’enfant (formes congénitales ou infantiles) que l’adulte jeune. Un diagnostic différentiel important est de ne pas confondre une surdité cachée avec une neuropathie auditive débutante, d’où l’intérêt des tests OEA/PEA et de l’IRM systématique en cas de doute.
  • Trouble de l’audition centrale (TAC) : également appelé trouble du traitement auditif (central auditory processing disorder, CAPD), il s’agit d’un dysfonctionnement des centres auditifs du cerveau. Le TAC peut provoquer chez l’enfant ou l’adulte des difficultés à comprendre la parole dans le bruit malgré une audition périphérique normale, ce qui le place au premier plan des diagnostics différentiels de la surdité cachée. Une caractéristique notable est que certains patients avec trouble central isolé peuvent réussir des tests de compréhension dans le bruit standard, malgré leur plainte de gêne – car leur problème relève plus de l’intégration complexe de l’information auditive (par ex. difficultés d’attention auditive sélective, de mémorisation des messages complexes). Le diagnostic de TAC repose sur un bilan audio-central approfondi (tests dichotiques, reconnaissance de mots rapides ou déformés, etc.) réalisé par des orthophonistes ou audiologistes spécialisés. Il est crucial de différencier un TAC (atteinte centrale pure) d’une surdité cachée périphérique, car la prise en charge sera différente (rééducation orthophonique cognitive vs. aides auditives, voir plus loin).
  • Autres situations : D’autres troubles auditifs peuvent donner l’illusion d’une « surdité cachée ». Par exemple, la maladie de Ménière à un stade initial peut occasionner une distorsion auditive et des difficultés dans le bruit alors que l’audiogramme est normal entre les crises – toutefois la fluctuation des symptômes, les vertiges associés et l’ECoG typique orientent le diagnostic (). Des troubles cognitifs débutants (troubles neurocognitifs légers) peuvent également se manifester par des difficultés à suivre les conversations en milieu bruyant, non par déficit auditif périphérique mais par déficit de traitement cognitif de l’information sonore; un dépistage neuropsychologique peut alors être nécessaire chez une personne âgée ayant une plainte auditive inexpliquée. Enfin, il ne faut pas confondre une surdité cachée avec un simple problème d’attention ou de fatigue : il est rapporté que de jeunes adultes avec surdité cachée ont parfois été étiquetés à tort comme inattentifs alors qu’en réalité ils peinaient à discerner correctement la parole dans le bruit. La fatigabilité auditive en fin de journée ou lors d’écoutes prolongées doit d’ailleurs faire partie de l’interrogatoire, car elle est un indice fréquent d’un effort d’écoute anormal (effort d’écoute accru) en faveur d’une surdité cachée.

Spécificités cliniques selon les catégories de patients

Chez l’enfant

Chez l’enfant et l’adolescent, les difficultés d’audition avec tests normaux relèvent le plus souvent de troubles centraux ou de neuropathies auditives plutôt que d’une synaptopathie isolée due au bruit (les expositions sonores nocives étant en général plus limitées à cet âge). Il faut savoir évoquer une neuropathie auditive chez un nourrisson ou un jeune enfant présentant un retard de développement du langage, en particulier si la compréhension orale est plus atteinte que l’expression. Ainsi, un retard de langage centré sur la compréhension doit faire réaliser un PEA (ABR) même si les otoémissions sont normales, afin de dépister une éventuelle neuropathie auditive passée inaperçue au dépistage néonatal. De même, un jeune enfant avec OEA normales et qui pourtant n’entend pas correctement doit bénéficier d’examens objectifs du tronc cérébral (PEA) pour identifier une neuropathie. Ces neuropathies auditives pédiatriques, bien que rares, représentent environ 2 à 15 % des surdités de l’enfant et peuvent être d’origine génétique (par exemple la mutation OTOF entraînant l’abolition de la synapse IHC-nerf auditif dans la surdité DFNB9) ou acquise (souffrance néonatale sévère, ictère nucléaire, etc.

Par ailleurs, chez l’enfant d’âge scolaire qui entend « normalement » aux tests mais ne suit pas en classe ou fait répéter fréquemment, il convient d’envisager un trouble de l’audition centrale (TAC). Ces enfants peuvent être facilement distraits par le bruit ambiant, confondre des mots proches et présenter des difficultés d’apprentissage alors même que les tests auditifs conventionnels sont normaux. Le diagnostic de TAC chez l’enfant (ou l’adolescent) est posé par un bilan audio-central réalisé par un spécialiste (orthophoniste, audiologiste) comportant des épreuves adaptées à l’enfant. Il coexiste fréquemment avec d’autres troubles des apprentissages (dyslexie, troubles attentionnels…) et nécessite une prise en charge pluridisciplinaire. Il est important de ne pas conclure trop vite à un trouble déficitaire de l’attention chez un enfant avant d’avoir vérifié l’intégrité de son audition périphérique et de ses capacités de traitement auditif central. En pratique, un enfant qui « entend bien mais n’écoute pas bien » doit bénéficier d’un examen ORL complet suivi, si nécessaire, d’un bilan orthophonique spécialisé.

Chez l’adulte

Chez l’adulte jeune ou d’âge moyen, la surdité cachée est souvent synonyme de plaintes auditives dans le bruit liées à des expositions sonores passées. Le cas typique est celui d’un patient d’une trentaine ou quarantaine d’années, sans antécédent ORL particulier, qui a travaillé de nombreuses années en milieu bruyant (chantiers, usines) ou qui a eu des loisirs bruyants (musique amplifiée, concerts, sport de tir…), et qui rapporte depuis peu une difficulté à suivre les conversations dès que le fond sonore est important (réunions, restaurants…), alors même que son audiogramme reste normal. Ce patient peut également rapporter des acouphènes temporaires ou une impression d’oreilles « cotonneuses » après les expositions sonores intenses, signes transitoires qui traduisent vraisemblablement des atteintes réversibles suivies de dommages cumulatifs au fil du temps. Tous ces éléments orientent vers une synaptopathie cochléaire induite par le bruit.

L’examen clinique ORL est en général normal chez ces patients, hormis possiblement une légère hypoacousie dans les aigus. C’est l’interrogatoire qui est capital. Il faut rechercher systématiquement : des antécédents d’exposition au bruit (bruit professionnel, usage d’armes à feu, loisirs bruyants), des antécédents familiaux de presbyacousie précoce, la présence de symptômes auditifs transitoires après les expositions (acouphènes, sensation de baisse de l’audition récupérant ensuite), et évaluer l’impact de la gêne (questionner sur les situations précises posant problème, la fatigue engendrée, les stratégies de compensation comme lire sur les lèvres). Un élément évocateur est l’absence de bénéfice perçu avec des aides auditives standard : en effet, un adulte qui a fait essayer des audioprothèses malgré une audition normale et n’en retire aucune amélioration a possiblement une surdité cachée non améliorée par la simple amplification.

Devant ce tableau, le recours aux tests spécifiques mentionnés plus haut est justifié. En particulier, l’audiométrie vocale dans le bruit objectivera la plainte (on s’attend à un score anormalement bas), et l’audiométrie haute fréquence détectera d’éventuelles pertes débutantes au-delà de 8 kHz (fréquentes en cas de traumatisme sonore ancien) (). Les PEA pourront montrer une baisse d’amplitude de la vague I confirmant une synaptopathie. Enfin, l’ECoG peut être réalisée pour identifier le fameux rapport SP/AP élevé suggérant une atteinte cochléaire cachée (). Il est à noter que les recommandations actuelles (Société Française d’ORL) conseillent ce bilan complémentaire (audiométrie dans le bruit, hautes fréquences et ECoG) chez tout adulte anciennement exposé au bruit se plaignant principalement de gêne auditive dans le bruit avec audiogramme peu altéré (). Cette approche permet de confirmer le diagnostic de surdité cachée chez l’adulte et d’envisager la stratégie thérapeutique adéquate.

Chez la personne âgée

Chez le sujet âgé, la situation est souvent complexe car il peut exister simultanément une perte auditive périphérique (presbyacousie) et un trouble auditif central ou une synaptopathie. De plus, des facteurs cognitifs peuvent interférer. Ainsi, face à une personne âgée qui continue de se plaindre d’une mauvaise compréhension malgré des audioprothèses correctement ajustées, ou dont la gêne rapportée est sans commune mesure avec la perte audiométrique mesurée, il est légitime d’évoquer une composante de surdité cachée. Celle-ci peut être cochléaire (synaptopathie liée au vieillissement, qui est documentée dans les modèles animaux comme un précurseur de la presbyacousie et/ou centrale (dégénérescence des voies auditives centrales, analogue à une presbyacousie centrale).

Une évaluation orthophonique est fortement recommandée chez le patient âgé présentant une plainte auditive inexpliquée ou disproportionnée. Ce bilan permettra de tester les capacités de décodage central (par exemple, tests de compréhension de phrases complexes, évaluation de la mémoire auditive et de l’attention). Il aidera à distinguer ce qui relève d’un problème auditif (périphérique ou central) de ce qui relève d’un problème cognitif plus global. Notons que la présence d’un trouble du traitement auditif central chez la personne âgée est un facteur de risque de déclin cognitif plus rapide (). En effet, le cerveau sous-stimulé par une mauvaise intégration auditive peut favoriser des troubles mnésiques. Ainsi, diagnostiquer un composant central caché a des implications importantes, non seulement pour l’audition mais aussi pour la prévention du déclin cognitif.

Sur le plan des examens, la démarche diagnostique chez le sujet âgé est similaire à celle de l’adulte : audiométrie dans le bruit, tests objectifs (PEA, OEA) pour chercher une neuropathie, imagerie IRM pour éliminer une pathologie neurologique débutante (comme une atteinte vasculaire ou démyélinisante du tronc cérébral). La difficulté réside dans l’interprétation des tests lorsque coexistent une perte périphérique et un trouble central. Là encore, une approche multidisciplinaire (ORL, audioprothésiste, orthophoniste, gériatre si besoin) est idéale pour faire la part des choses et optimiser la prise en charge.

Solutions d’appareillage pour les surdités cachées

La stratégie la plus efficace:

  • Des appareils auditifs avec un protocole de réglage adapté. Marc Boulet a développé une méthodologie spécifique en partenariat avec un centre de recherche hosptalo-universitaire.

L’étude intitulée « Efficacité des aides auditives chez les patients présentant des difficultés d’audition dans le bruit : focus sur la surdité cachée » a évalué l’impact des aides auditives chez des individus ayant des difficultés de compréhension de la parole en milieu bruyant, malgré une audition normale ou une perte auditive légère en conditions calmes.

Méthodologie :

Les participants ont été équipés d’aides auditives à écoute ouverte (open-fit) de marque Phonak. Le test FraMatrix a été utilisé pour évaluer l’intelligibilité de la parole dans le bruit. De plus, l’efficacité des aides auditives sur les acouphènes et la qualité de vie quotidienne a été analysée.

Résultats :

  • Amélioration de l’intelligibilité de la parole : Les résultats ont montré une amélioration significative de l’intelligibilité de la parole dans le bruit avec l’utilisation des aides auditives, en particulier chez les patients atteints de surdité cachée, avec une amélioration de 2,0 dB du rapport signal/bruit pour le seuil de reconnaissance de la parole.
  • Réduction des acouphènes : Les aides auditives se sont avérées efficaces pour atténuer les acouphènes chez les participants concernés.
  • Utilisation quotidienne : Les participants ont utilisé les aides auditives en moyenne 9,9 heures par jour, indiquant une bonne acceptation et tolérance des dispositifs.

Cette étude menée par Marc Boulet démontre que les aides auditives peuvent améliorer l’intelligibilité de la parole dans le bruit chez les patients avec une perte auditive légère, et plus particulièrement chez ceux atteints de surdité cachée. De plus, elles contribuent à la réduction des acouphènes, améliorant ainsi la qualité de vie des patients. Les équipes Audition Mar Boulet sont formées à cette méthodologie d’appareillage.

Les stratégies alternatives:

  • Aides auditives à amplification adaptative : ces dispositifs utilisent des algorithmes avancés pour améliorer le rapport signal/bruit sans altérer excessivement la dynamique du son. Certains modèles offrent une adaptation automatique aux environnements bruyants et permettent un traitement prédictif du signal sonore pour optimiser la compréhension.
  • Systèmes d’assistance à l’écoute (FM, Bluetooth, etc.) : ces technologies permettent de transmettre directement la parole au patient en minimisant les interférences sonores. Elles sont particulièrement utiles dans les milieux professionnels ou scolaires.
  • Thérapies pharmacologiques : l’administration de composés neuroprotecteurs pourrait à terme stabiliser ou restaurer la fonction synaptique cochléaire. Des essais cliniques sont en cours pour évaluer l’efficacité des facteurs neurotrophiques comme la neurotrophine-3 (NT-3) et le facteur neurotrophique dérivé du cerveau (BDNF) pour la réparation des connexions auditives endommagées.

Conclusion

La surdité cachée représente un défi clinique en raison de la normalité apparente des tests auditifs conventionnels. Son identification repose sur des tests d’intelligibilité de la parole et des explorations neurophysiologiques plus poussées. L’appareillage adapté, associé à des approches émergentes telles que la stimulation électrophysiologique et les thérapies régénératives, offre des perspectives encourageantes pour une meilleure prise en charge des patients atteints de ce trouble. Une meilleure sensibilisation des professionnels de santé auditifs à cette pathologie permettra d’améliorer le diagnostic et d’optimiser les stratégies d’intervention. Les recherches en cours sur les biomarqueurs et les traitements innovants permettront à terme d’affiner la stratégie diagnostique et de proposer des interventions personnalisées en fonction du profil physiopathologique de chaque patient.

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