L’ototoxicité constitue un effet secondaire potentiellement grave des chimiothérapies, affectant directement la qualité de vie des patients. Ce document vise à fournir aux médecins ORL une synthèse des mécanismes, des agents impliqués, des présentations cliniques, et des stratégies de gestion de l’ototoxicité induite par les chimiothérapies.

Mécanismes physiopathologiques de l’ototoxicité par chimiothérapie

L’ototoxicité résulte d’une toxicité directe des agents chimiothérapeutiques sur les cellules ciliées internes et externes de la cochlée, ainsi que sur les neurones du nerf auditif. Les mécanismes incluent :

  • Stress oxydatif : Formation excessive de radicaux libres endommageant les structures cochélaires.
  • Dysfonction mitochondriale : Perturbation de la production d’énergie cellulaire.
  • Apoptose cellulaire : Activation des voies apoptotiques dans les cellules ciliées.

Agents chimiothérapeutiques impliqués

  • Cisplatine

Le cisplatine est l’agent chimiothérapeutique le plus ototoxique. Il provoque :

  • Une perte auditive neurosensorielle, souvent irréversible.
  • Une atteinte bilatérale et symétrique.
  • Carboplatine

Bien que moins toxique que le cisplatine, il reste un contributeur important à l’ototoxicité, notamment chez les enfants.

  • Autres Agents

  • Vincristine : Altère la transmission neuromusculaire, avec un potentiel ototoxique.
  • Agents ciblés (e.g., inhibiteurs de tyrosine kinase) : Ototoxicité signalée dans des cas isolés.

La société Sensorion travaille sur un traitement des surdités induites par les chimiothérapies au cisplatine.

Présentations cliniques

Les patients présentent souvent :

  • Hypoacousie progressive : Initialement dans les fréquences aiguës (>4000 Hz).
  • Acouphènes : Symptôme précoce, révélateur.
  • Vertiges : Moins fréquents mais rapportés dans certaines séries.

Existe t-il des facteurs de risque?

Les principaux facteurs de risque de la perte auditive après exposition au cisplatine identifiés dans cette étude sont une dose cumulative élevée de cisplatine (> 400 mg/m²), qui augmente significativement le risque d’ototoxicité, et des antécédents d’exposition au bruit, qui multiplient par trois le risque. Des doses élevées de vincristine ont également été associées à des symptômes ototoxiques réversibles. Aucun autre facteur indépendant significatif n’a été identifié.

  • Dose cumulée élevée d’agents ototoxiques.
  • Administration concomitante d’autres agents toxiques (e.g., aminosides).
  • Exposition au bruit, le risque d’otoxicité est alors multiplié par trois
  • Âge : Les enfants et les personnes âgées sont plus vulnérables.
  • Génétique : Polymorphismes des gènes liés au stress oxydatif.

Gestion de l’ototoxicité par chimiothérapie

  • Surveillance auditive

Un suivi audiologique systématique est indispensable :

  • Audiométrie tonale : Avant, pendant, et après la chimiothérapie, i est nécessaire de réaliser un audiogramme.
  • Otoémissions acoustiques : Pour détecter les atteintes précoces.

Prévention

  • Hydratation optimale : Réduction de la concentration plasmatique des agents toxiques.
  • Agents otoprotecteurs : Études prometteuses sur les antioxydants.

Prise en charge des symptômes auditifs

  • Appareillage auditif :  Pour corriger la perte auditive résiduelle.
  • Réhabilitation auditive : Programmes adaptés aux patients.

Perspectives et recherche sur l’ototoxicité et la chimiothérapie

Des recherches sont en cours pour développer :

  • Biomarqueurs prédictifs d’ototoxicité.
  • Nouvelles thérapies ciblant les voies apoptotiques, Sensorion a publié sur le sujet une étude prometteuse.

Sensorion a récemment reçu une recommandation positive du Comité de Surveillance des Données de Sécurité (DSMB) pour poursuivre l’essai clinique de Phase 2a (NOTOXIS) évaluant le SENS-401 pour prévenir l’ototoxicité induite par le cisplatine. Cette décision confirme le profil de sécurité favorable du SENS-401, administré à une dose quotidienne de 43,5 mg pendant 23 semaines, et permet la continuation de l’étude sans modification des protocoles. L’essai multicentrique et randomisé mesure notamment la gravité de l’ototoxicité, les variations de l’audiométrie tonale et la tolérance générale, afin de vérifier si le SENS-401 peut devenir une option thérapeutique viable contre les effets auditifs invalidants du cisplatine. Sensorion, pionnière en biotechnologie, développe des thérapies pour traiter les troubles auditifs, avec un focus sur le SENS-401, qui a reçu des désignations de médicament orphelin par l’EMA et la FDA. La société travaille également sur des programmes de thérapie génique ciblant des formes héréditaires de surdité et développe des biomarqueurs pour améliorer le diagnostic et le traitement des maladies auditives.

L’ototoxicité des chimiothérapies est un défi clinique majeur. Une approche multidisciplinaire, impliquant oncologues, audiologistes, et ORL, est essentielle pour minimiser les impacts sur la santé auditive des patients. La prévention et le dépistage précoce demeurent les piliers de la gestion de cette complication.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *