La perte auditive neurosensorielle s’accompagne souvent d’une réduction marquée de la plage dynamique auditive, rendant inaudibles les sons faibles tout en rendant les sons forts rapidement inconfortables. Cette altération du codage de l’intensité par l’oreille interne constitue un défi central pour l’audioprothésiste : comment amplifier suffisamment les sons utiles, tout en évitant d’amplifier excessivement les sons déjà forts ?

C’est dans ce contexte que la compression dynamique est devenue un pilier fondamental du traitement du signal dans les aides auditives modernes. Contrairement à une amplification linéaire qui appliquerait un gain identique à tous les niveaux sonores, la compression permet d’adapter l’amplification en fonction du niveau d’entrée, rendant les sons faibles audibles sans rendre les sons forts désagréables. Elle vise ainsi à restituer une expérience auditive à la fois intelligible et confortable, en tenant compte de la physiopathologie propre à chaque patient.

Cette technologie, dont les origines remontent aux premiers dispositifs à gain automatique du XXe siècle, a connu une évolution spectaculaire avec l’avènement du numérique. Aujourd’hui, les systèmes de compression multi-bande, adaptatifs et intelligents permettent une personnalisation fine des réglages, en fonction des environnements sonores et des besoins spécifiques des patients.

Définition de la compression en audioprothèse

La compression dans les aides auditives est un procédé de traitement du signal qui ajuste le gain (l’amplification) de manière non linéaire en fonction du niveau sonore d’entrée. Autrement dit, l’appareil amplifie davantage les sons faibles que les sons forts afin de réduire la plage dynamique du signal délivré à l’oreille du malentendant. Par exemple, un son intense sera amplifié moins qu’un son très faible, ce qui évite qu’il soit perçu trop fort, tandis qu’un chuchotement sera amplifié davantage pour rester audible. Ainsi, la compression réalise un « contrôle automatique du gain » dépendant du niveau sonore : l’amplification varie continuellement selon l’intensité du signal d’entrée. L’objectif est de normaliser l’intensité perçue en maintenant le volume des sons de l’environnement dans une plage confortable pour l’utilisateur.

La compression dans les appareils auditifs
La compression dans les appareils auditifs

Illustration du fonctionnement de la compression. Ce graphique montre l’évolution du gain fourni par l’appareil en fonction du niveau d’entrée du son. Dans cet exemple, le gain est constant (environ 30 dB) tant que le niveau du son reste en dessous d’un seuil d’enclenchement fixé à 50 dB (segment horizontal bleu). Au-delà de 50 dB, l’appareil passe en mode compressif : on voit différentes pentes correspondant à des taux de compression différents. Une compression légère (courbe noire, ratio ≈1.5:1) réduit faiblement le gain quand le son s’intensifie, alors qu’une compression plus forte (vert ~2:1, violet ~3:1) réduit davantage le gain pour les mêmes augmentations de niveau. La courbe marron représente un limiteur de sortie activé à ~80 dB : au-delà de ce niveau élevé, le gain est écrasé (ratio très élevé, proche d’un écrêtage) afin d’éviter de dépasser le seuil d’inconfort de l’utilisateur. Grâce à ces réglages, l’amplification est non linéaire : le malentendant bénéficie d’un gain important pour les sons faibles, mais les sons intenses sont, eux, peu amplifiés (voire pas du tout amplifiés au-delà du seuil du limiteur), assurant à la fois audibilité et protection.

Raisons physiopathologiques d’utiliser la compression

Chez de nombreuses personnes malentendantes, en particulier en cas de surdité neurosensorielle, la plage dynamique de l’audition est réduite. En effet, la perte des cellules ciliées externes (CCE) dans la cochlée abolit le mécanisme naturel de compression cochléaire qui, chez l’oreille normale, amplifie modérément les sons faibles et limite la croissance de la sensation pour les sons forts. Sans ce mécanisme, les malentendants présentent un recrutement auditif : les sons faibles deviennent inaudibles, tandis que les sons modérément forts peuvent être perçus presque aussi intensément que des sons très forts. Il en résulte un « pincement » de la dynamique résiduelle : l’écart en décibels entre le seuil d’audition et le seuil d’inconfort est fortement diminué. Cette situation entraîne deux problèmes concomitants : une difficulté à entendre les sons faibles (puisque l’oreille endommagée ne les amplifie plus assez), et une intolérance aux sons forts car le niveau confortable est vite dépassé.

Organe de Corti schéma avec légendes webp
Organe de Corti

La compression prothétique est conçue précisément pour compenser ces handicaps. Elle permet de rétablir l’audibilité des sons faibles (en les amplifiant de manière sélective) tout en évitant que les sons forts ne dépassent le seuil d’inconfort du patient. En d’autres termes, l’audioprothésiste utilise la compression afin de remplacer le mécanisme de protection naturel des CCE défaillantes. Bien mise en œuvre, la compression améliore donc la capacité du malentendant à percevoir une large gamme de sons sans douleur ni gêne, en tenant compte de sa dynamique auditive réduite. De nos jours, la compression numérique de la dynamique d’intensité est considérée comme une condition indispensable dans l’appareillage des surdités avec recrutement, tant pour rendre les chuchotements audibles que pour prévenir les excès de volume susceptibles d’endommager l’oreille ou de causer de l’inconfort.

Cellules ciliées externes endommagées
Cellules ciliées externes endommagées

Principes techniques de la compression

Pour comprendre le fonctionnement d’un compresseur dynamique dans une aide auditive, il faut en connaître les principaux paramètres : seuil de compression, taux (ratio) de compression, temps d’attaque, temps de relâchement, ainsi que les notions de compression multi-bande et de différentes stratégies (WDRC, compression à seuil élevé, etc.). Ces paramètres déterminent comment l’appareil va adapter son gain en temps réel selon le signal entrant.

  • Seuil de compression (ou seuil d’enclenchement) : c’est le niveau de son (exprimé en dB SPL) à partir duquel l’appareil commence à réduire son gain. En dessous de ce seuil, l’amplification reste généralement linéaire (ratio 1:1). Au-dessus, l’appareil entre en régime compressif. Un seuil bas (par ex. ~50 dB) signifie que même les sons modérés subissent une compression (cas des WDRC), alors qu’un seuil élevé (par ex. ~80 dB) signifie que seuls les sons forts sont compressés (on parle alors de limiteur de niveau de sortie). Le choix du seuil dépend du type de perte auditive et des objectifs : compenser les sons courants de la parole implique souvent un seuil assez bas, tandis que protéger d’un inconfort nécessite au moins un seuil proche du seuil d’inconfort du patient.

  • Taux de compression (ratio) : c’est le rapport de compression au-delà du seuil, exprimé comme une ratio d’entrée/sortie. Par exemple, un ratio de 3:1 signifie que pour une augmentation de 3 dB du niveau d’entrée au-dessus du seuil, le niveau de sortie n’augmentera que de 1 dB. Plus le ratio est élevé, plus la compression est forte (le gain diminue rapidement dès que le son dépasse le seuil). Un ratio de 1:1 correspond à une amplification linéaire (pas de compression), tandis qu’un ratio très élevé (p.ex. 10:1 ou plus) se rapproche d’un écrêtage (limitation quasi absolue des niveaux en sortie). Dans la pratique, les appareils modernes utilisent souvent des ratios modérés (entre ~1.5:1 et 3:1) pour la compression à large plage dynamique (WDRC), et réservent les ratios très élevés (≥10:1) aux systèmes de limitation de sortie pour empêcher tout dépassement du niveau maximal tolérable.

  • Temps d’attaque (TA) : c’est le temps que met le compresseur pour réagir lorsqu’un son dépasse le seuil de compression. Il s’agit d’un délai (en millisecondes) au bout duquel le gain est réduit à la nouvelle valeur compressée. Un temps d’attaque court (quelques ms) permet de protéger rapidement l’utilisateur lors d’un bruit soudain (le compresseur réagit quasi instantanément pour baisser le gain), mais un attaque trop rapide peut introduire de la distorsion ou des artefacts si le son fluctue rapidement. Un temps d’attaque long (p.ex. >100 ms) préserve mieux la structure temporelle du son (l’attaque initiale d’un son fort passe sans être trop atténuée, ce qui peut conserver le naturel de la parole ou de la musique), mais risque de laisser passer un pic sonore inconfortable avant que la compression n’agisse. Le réglage du TA est donc un compromis entre réactivité et fidélité du signal.

  • Temps de relâchement (TR) : également exprimé en ms, il correspond au temps que met le compresseur pour revenir à son gain normal après que le niveau du son soit redescendu en dessous du seuil. Un TR court permet au système de ré-amplifier rapidement un son faible qui suit un son fort (utile, par exemple, pour entendre une consonne faible juste après une voyelle forte dans la parole : on parle alors de compression syllabique quand TA/TR sont très courts). Cependant, un TR trop rapide peut causer un effet indésirable de pompage (fluctuations perceptibles du volume, surtout dans le bruit, lorsque le gain remonte et redescend continuellement). À l’inverse, un TR long (plusieurs centaines de ms voire quelques secondes, on parle de compression lente) évite ces fluctuations rapides et préserve une enveloppe sonore plus stable (confort d’écoute, respect du rythme de la parole), mais risque de masquer temporairement les sons faibles qui suivent un son fort (puisque le gain met plus de temps à remonter). Les choix de TA/TR dépendent donc de l’application : une compression rapide (TA/TR courts) améliore l’audibilité des micro-variations du signal et protège des pics transitoires, tandis qu’une compression lente (TA/TR longs) maintient un son plus naturel et agréable, notamment pour la musique.

  • Compression mono-bande vs multi-bande : Les premiers appareils compressifs fonctionnaient en monocanal, appliquant un seul et même gain à l’ensemble du spectre sonore. Un inconvénient de la compression monocanal est que toutes les fréquences sont traitées de la même manière : un son fort dans une bande de fréquence (par ex. un bruit grave) peut entraîner une réduction de gain globale, y compris sur les fréquences aiguës, risquant de rendre un signal utile (par ex. la parole) moins audible. Pour pallier ce problème, les aides modernes utilisent une compression multicanal (multibande) : le signal est d’abord séparé en plusieurs bandes fréquentielles via des filtres, et chacune passe dans un compresseur indépendant. Ainsi, l’appareil peut appliquer des taux de compression ou des seuils différents selon les fréquences en tenant compte de la perte auditive propre à chaque bande (puisqu’il est courant qu’une surdité soit plus marquée dans les aigus que dans les graves). La compression multibande permet donc d’éviter d’atténuer l’ensemble du signal simplement parce qu’une composante dans une bande est trop forte. Par exemple, un bruit intense en basse fréquence sera compressé dans le canal grave sans réduire significativement le gain dans les aigus, préservant ainsi l’audibilité des consonnes. De plus, la compression multicanal peut améliorer simultanément l’audibilité et le confort sur une large gamme de niveaux sonores, sans nécessiter un taux de compression excessif sur un seul canal. On distingue notamment des réglages de réponse fréquentielle comme le TILL (Treble Increase at Low Levels) – plus de compression dans les graves que dans les aigus pour accentuer les aigus à bas niveau – ou le BILL (Bass Increase at Low Levels) – compression plus forte dans les aigus que dans les graves, pour accentuer les graves à bas niveau –, qui sont des stratégies découlant de la compression multibande visant à adapter l’amplification en fonction du contenu spectral du signal.

  • WDRC (Wide Dynamic Range Compression) : Ce terme désigne la compression à large plage dynamique, caractérisée par un seuil bas et un taux modéré. L’idée est d’appliquer une amplification non linéaire sur toute la gamme des intensités usuelles de la parole, de manière à rendre les sons faibles audibles tout en maintenant les sons forts à un niveau confortable. Introduite dans les années 1980, la WDRC est devenue la stratégie de compression dominante dans les aides auditives modernes. Typiquement, une WDRC peut avoir un seuil d’enclenchement autour de 40–50 dB SPL et un ratio aux environs de 2:1 : par exemple, l’amplificateur K-AMP développé par Etymotic appliquait ~2:1 de 40 à 90 dB, avec en plus une accentuation particulière des aigus pour les sons faibles (principe TILL). La WDRC vise à compresser l’ensemble de la parole dans la fenêtre auditive restante du patient. Elle améliore sensiblement l’intelligibilité de la parole à niveau faible ou normal (en amplifiant les phonèmes peu intenses) et assure un meilleur confort qu’une amplification linéaire, car les sons forts sont automatiquement freinés.

Compression WDRC dans les appareils auditifs
Compression WDRC dans les appareils auditifs
  • Compression à seuil élevé / limitation de sortie : À l’inverse de la WDRC, certaines compressions n’entrent en action qu’à partir d’un niveau élevé. Historiquement, on parlait de AGC-O (Automatic Gain Control – Output) pour désigner un compresseur placé en sortie d’amplificateur, conçu pour empêcher l’écrêtage et protéger le patient des pics sonores au-delà d’un certain seuil. Par exemple, un AGC-O peut avoir un seuil ~80–85 dB et un ratio élevé (10:1 ou plus) : en dessous de 80 dB, l’appareil est linéaire (ratio 1:1, gain fixe), au-dessus il devient presque un limiteur. Ce type de compression à seuil haut assure une sécurité (éviter de dépasser le seuil de douleur ou d’inconfort) mais n’améliore pas l’audibilité des sons faibles. Les anciens appareils analogiques utilisaient souvent ce schéma : on ajustait manuellement le gain pour les sons faibles/moyens (molette de volume), et un circuit AGC limitait automatiquement les seuls sons trop forts afin de réduire la distorsion et d’éviter de blesser l’oreille. De nos jours, l’AGC-O est généralement combiné à une WDRC : la WDRC gère la compression pour les intensités faibles à moyennes, tandis qu’un limiteur de sortie (AGC-O) prend le relais sur les intensités très élevées pour prévenir tout risque. Cette double stratégie permet d’assurer audibilité, confort et protection.

(À noter : d’autres variantes de traitement de la dynamique existent, comme la compression expanseur – qui augmente le gain quand le son est en dessous d’un certain seuil pour réduire les bruits de fond très faibles –, ou la compression adaptative où le comportement du compresseur (TA/TR) peut changer en fonction du contenu sonore. Ces points plus spécifiques dépassent le cadre de cette introduction.)

Origines historiques de la compression dans les aides auditives

L’idée d’automatiser le réglage du volume des prothèses auditives n’est pas nouvelle. Dès les premiers appareils auditifs électroniques au milieu du XXe siècle, les ingénieurs ont cherché à limiter l’amplification des sons forts pour éviter distorsion et inconfort. En 1935, la société Multitone de Londres a ainsi breveté la première aide auditive équipée d’un contrôle automatique du gain (AGC), marquant le début de l’utilisation de la compression dans les prothèses auditives. Cette technologie, d’abord implémentée avec des lampes (tubes à vide), permettait à l’appareil de réduire automatiquement son gain lorsque le signal d’entrée devenait trop élevé. La version portable de cette aide à AGC est commercialisée dès 1948, inaugurant l’ère des appareils à gain automatique plutôt qu’à réglage purement manuel.

Compression AGCO dans les appareils auditifs
Compression AGCO dans les appareils auditifs

Au cours des décennies suivantes, les appareils auditifs analogiques ont continué à intégrer des systèmes de compression, généralement basés sur des composants électroniques discrets (résistances dépendant du courant, transistors, etc.). Ces systèmes primitifs étaient souvent limités à un seul canal et à un comportement assez simple (une sorte de limiteur amélioré). Néanmoins, ils ont posé les bases du contrôle automatique du volume. Par exemple, dans les années 1960–70, on voyait apparaître des circuits AGC de plus en plus performants, permettant d’adoucir la sortie des aides auditives sans intervention de l’usager. On peut considérer ces compressions analogiques comme les ancêtres des WDRC modernes.

Un jalon important a été atteint dans les années 1970 grâce aux travaux d’Edgar Villchur. Ce chercheur a développé un dispositif de compression d’amplitude multicanal analogique qui séparait le signal audio en plusieurs bandes de fréquences et les amplifiait de manière non linéaire : les sons puissants étaient moins amplifiés et, à l’inverse, les sons faibles plus amplifiés. Il s’agissait en quelque sorte du précurseur des systèmes WDRC multibandes. Les prototypes issus de l’invention de Villchur montraient qu’on pouvait améliorer l’intelligibilité pour les malentendants en compressant différemment chaque portion du spectre sonore – une idée révolutionnaire pour l’époque. Ce concept de compression multi-bande a ensuite servi de structure fondamentale pour les premières aides auditives numériques quelques années plus tard.

Évolution technologique de la compression : de l’analogique au numérique

L’avènement des transistors (fin des années 1940) puis des premiers microprocesseurs (années 1970) a permis aux appareils auditifs d’évoluer considérablement, en particulier pour les circuits de compression. Durant les années 1980, on voit apparaître des prothèses dites hybrides : l’audition restait traitée en analogique, mais un contrôleur numérique gérait certains réglages de l’appareil, notamment les paramètres de compression et de filtrage. Par exemple, les Laboratoires Bell ont expérimenté dès le début des années 1980 un prototype à double canal de compression piloté par des circuits numériques, préfigurant ce que deviendrait la WDRC multi-bande quelques années plus tard. Ces systèmes hybrides offraient des avantages inédits : la programmabilité (possibilité de modifier finement le seuil, le ratio, etc., via un ordinateur), la mémoire de plusieurs programmes (par exemple un programme compression lente pour le calme, un autre plus rapide pour le bruit), et une stabilité accrue des réglages dans le temps. De plus, les premières puces dédiées ont été développées pour optimiser la compression et la réduction de bruit en temps réel (on peut citer le Zeta Noise Blocker dans les années 1980, l’une des premières puces numériques intégrant un ajustement automatique du gain par canal).

Le véritable tournant technologique a lieu au milieu des années 1990 avec l’essor du tout-numérique. En 1995, Oticon met au point la première aide auditive commerciale entièrement numérique (l’Oticon DigiFocus), diffusée d’abord à des fins de recherche. En 1996, la société Widex lance le modèle Senso, première prothèse 100 % numérique à connaître un large succès commercial. Ces appareils numériques ont la capacité de traiter le signal par DSP (processeur de signal numérique) et ouvrent la porte à des algorithmes de compression beaucoup plus sophistiqués. Par exemple, dès la fin des années 1990, les aides auditives numériques proposent systématiquement la compression multicanal WDRC, avec un nombre de bandes de compression en augmentation (2, 3, 4, puis aujourd’hui plus d’une dizaine sur certains modèles haut de gamme). On assiste aussi à l’introduction de fonctionnalités complémentaires : détecteurs de parole/bruit qui modulent la compression différemment selon que le signal est de la parole ou un bruit constant, systèmes anti-saturation intelligents, ou encore programmation adaptative par l’audioprothésiste assistée par logiciel pour optimiser les réglages au cas par cas.

Compression multi canal dans les appareils auditifs
Compression multi canal dans les appareils auditifs

Dans les années 2000–2010, la miniaturisation des composants et l’augmentation de la puissance de calcul embarquée ont permis d’affiner encore le contrôle de la compression. L’appareil auditif devient capable de modifier automatiquement ses paramètres en fonction de l’environnement sonore : c’est l’ère des algorithmes adaptatifs. Par exemple, l’aide peut adopter une compression plus lente et conservatrice en ambiance calme (pour privilégier le confort et la qualité sonore), mais basculer en compression plus rapide et agressive en présence de bruit impulsionnel ou de paroles fluctuantes (pour maximiser l’intelligibilité). Des fabricants ont développé des classificateurs environnementaux qui analysent en continu le signal (taux de modulation, spectre, niveau global, etc.) et choisissent la stratégie de compression la plus appropriée pour chaque situation (conversation calme, restaurant bruyant, musique, bruit de vent, etc.). Parallèlement, les progrès de la connectivité (Bluetooth, etc.) et de la programmation fine ont offert la possibilité d’enregistrer de multiples profils d’utilisateur, permettant à l’audioprothésiste de personnaliser précisément la compression pour différents scénarios d’écoute.

Personnalisation par l’IA et nouvelles perspectives

Aujourd’hui, l’évolution se poursuit avec l’intégration de l’intelligence artificielle (IA) et du machine learning dans les aides auditives. Depuis quelques années, certaines prothèses haut de gamme embarquent des réseaux neuronaux entraînés sur des millions de scènes sonores, capables d’adapter en temps réel les paramètres de traitement du signal (dont la compression) aux préférences de l’utilisateur et au contexte sonore. Par exemple, l’appareil analyse le paysage sonore et peut décider d’ajuster la vitesse de compression ou le gain par canal en fonction du type de son identifié (parole, musique, bruit de fond, etc.). Grâce à ces approches IA, la prothèse « apprend » à optimiser intelligibilité et confort de manière dynamique, au-delà des simples réglages statiques prévus en laboratoire. On parle de plus en plus de compression adaptative intelligente, où l’appareil pourrait même anticiper les besoins de l’utilisateur (par exemple en apprenant qu’il préfère une compression plus faible pour la musique et plus forte pour la télévision, et en s’ajustant automatiquement). Bien que toujours encadrée par l’audioprothésiste, la compression tend ainsi à devenir de plus en plus personnalisée et contextuelle grâce aux avancées en IA. L’objectif final reste le même qu’à ses origines : offrir au malentendant une expérience d’écoute optimale, en rendant tous les sons importants audibles sans jamais compromettre le confort ni la santé auditive.

Rôle de la compression : intelligibilité et confort auditif

La compression dynamique joue un rôle central dans l’amélioration de l’intelligibilité de la parole et du confort d’écoute des personnes appareillées. En réhaussant les sons faibles (comme les consonnes, les terminaisons de mots ou les chuchotements), elle permet de restituer des détails de la parole qui seraient autrement perdus pour un malentendant, surtout en présence d’un bruit de fond. De nombreuses études ont montré qu’une WDRC bien paramétrée accroît significativement la compréhension de la parole à bas volume par rapport à une amplification linéaire, car elle rétablit une partie des contrastes sonores effacés par la perte auditive. Par exemple, amplifier plus fortement les fréquences aiguës faibles (bruits de consonnes s, f, t…) grâce à la compression multibande peut rendre un mot intelligible alors qu’il ne l’était pas sans compression.

En parallèle, la compression protège le confort auditif du patient. Plutôt que de subir un son fort brutalement amplifié (ce qui pourrait être douloureux ou effrayant), l’utilisateur bénéficie d’un lissage du volume : les bruits forts sont atténués automatiquement. Ceci évite non seulement l’inconfort, mais aussi la fatigue auditive sur la durée de la journée. Un appareil auditif compressif dispense souvent l’utilisateur de manipuler sans cesse le volume en fonction de l’environnement : la régulation automatique du gain garantit que les chuchotements deviennent audibles, tout en empêchant que le claquement d’une porte ne soit insupportable. Le résultat est une expérience d’écoute plus naturelle et stable, où l’utilisateur peut se concentrer sur les sons importants (comme la parole) sans être distrait ni gêné par des fluctuations excessives de volume.

Il convient toutefois de noter que la compression doit être judicieusement réglée pour maximiser ces bénéfices. Une compression trop agressive (taux très élevé, attaque ultra-rapide) peut parfois dégrader la qualité sonore ou même l’intelligibilité, en aplatissant excessivement les variations d’intensité de la parole. Par exemple, un ratio trop fort (> 3:1) risque de réduire les contrastes entre syllabes accentuées et non accentuées, rendant la parole plus monotone et potentiellement moins claire. De même, pour l’écoute musicale, il est généralement recommandé d’utiliser une compression plus légère ou désactivée (linéaire) dans un programme dédié, car une compression rapide standard peut altérer la dynamique musicale et la fidélité des timbres. Les patients mélomanes préfèrent souvent des réglages avec très peu de compression sur la musique (ratios proches de 1:1). Ces considérations illustrent qu’il n’existe pas de « recette universelle » : l’audioprothésiste doit adapter la compression au cas par cas, en trouvant le bon équilibre entre intelligibilité maximale et confort acoustique.

En somme, la compression dans les appareils auditifs a pour mission de rendre le monde sonore accessible aux malentendants, en réduisant l’écart entre les sons trop faibles qu’ils ne perçoivent plus et les sons trop forts qu’ils ne supportent pas. Grâce à des décennies d’innovations – du premier AGC analogique aux algorithmes intelligents actuels – la compression constitue aujourd’hui le cœur du traitement du signal en audioprothèse. Bien maîtrisée, elle offre au patient une audition enrichie et sécurisée, permettant de mieux communiquer tout en préservant le plaisir d’une écoute confortable au quotidien.

Tableau récapitulatif – Paramètres et types de compression dans les aides auditives :

Paramètre ou type de compression Description et rôle
Seuil de compression (kneepoint) Niveau d’entrée à partir duquel la compression s’active. En dessous : amplification linéaire 1:1. Au-dessus : gain réduit selon le ratio. Seuil bas = compression dès les sons modérés (WDRC) ; seuil élevé = seulement les sons forts sont compressés (limiteur de sortie).
Taux (ratio) de compression Rapport de réduction du gain au-delà du seuil. Ex : 2:1 = une augmentation de 2 dB en entrée n’entraîne qu’+1 dB en sortie. Ratio plus élevé = compression plus forte (sons fortement « écrasés »). Ratios typiques WDRC ~1.5:1 à 3:1 ; ratio >10:1 = limiteur (éviter dépassement du niveau maximal).
Temps d’attaque (TA) Délai de réaction du compresseur quand le son dépasse le seuil. TA court (quelques ms) = protection rapide (utile bruits soudains) mais possible distorsion ; TA long (>100 ms) = respect de l’enveloppe sonore (son plus naturel) mais pics potentiels non compressés.
Temps de relâchement (TR) Délai pour revenir au gain normal après que le son repasse sous le seuil. TR court = suit de près les fluctuations (bonne audibilité des fluctuations rapides) mais risque de pompage ; TR long = évite variations trop rapides (écoute plus confortable) mais sons faibles suivants parfois masqués.
Compression multicanal Compression appliquée séparément sur plusieurs bandes de fréquences. Chaque canal a son propre seuil/ratio. Permet d’adapter l’amplification aux pertes auditives par fréquence, d’éviter qu’un son tonal fort n’abaisse le gain sur tout le spectre. Améliore simultanément intelligibilité et confort sur l’ensemble des fréquences.
WDRC (Wide Dynamic Range Compression) Compression à large plage dynamique (seuil bas, ratio modéré) visant à amplifier fortement les sons faibles tout en limitant les forts sur toute la gamme d’intensités. Standard dans les aides numériques modernes. Rétablit l’audibilité des composantes faibles de la parole (meilleure intelligibilité) et évite la sur-amplification des bruits forts (confort).
Compression à seuil élevé (AGC-O) Compression qui n’agit qu’à haut niveau (seuil élevé) pour empêcher le signal de dépasser un niveau max. Agit comme limiteur de sortie : ratio très élevé (par ex. 10:1) au-delà du seuil. Conserve une amplification linéaire pour les sons faibles et moyens. Utilisée en complément de la WDRC comme « filet de sécurité » contre les pics sonores.
Compression lente vs rapide Selon les réglages de TA/TR : une compression lente (TA>100 ms, TR>500 ms) préserve mieux la qualité sonore et les indices de la parole (enveloppe), convenant bien aux environnements calmes ou à la musique. Une compression rapide (TA/TR quelques ms à dizaines de ms) suit les variations syllabiques de la parole et protège des bruits soudains, améliorant l’intelligibilité en ambiance fluctuante (ex. conversation dans le bruit) au prix d’un son potentiellement moins naturel.

La compression lente selon Phonak : une stratégie adaptée aux pertes auditives sévères à profondes

La gestion de la dynamique sonore est au cœur de l’appareillage des personnes présentant une perte auditive sévère à profonde. Or, dans ce groupe de patients, la résolution spectrale et temporelle est souvent altérée, ce qui complique l’analyse fine des indices acoustiques de la parole. Dans ce contexte, la compression rapide, bien qu’efficace pour optimiser l’audibilité, peut parfois entraîner des distorsions perceptives. Phonak propose donc une alternative innovante : une compression lente, spécifiquement pensée pour préserver les indices temporels essentiels à l’intelligibilité vocale. Cet article explore les fondements, les bénéfices cliniques et la mise en œuvre de cette stratégie à travers l’exemple de la plateforme Phonak Naída.

Compression dans les appareils auditifs Phonak
Compression dans les appareils auditifs Phonak

Problématique des pertes sévères à profondes

Les pertes auditives sévères à profondes s’accompagnent généralement de :

  • Filtres auditifs élargis, réduisant la sélectivité fréquentielle.

  • Dégradation des enveloppes temporelles, altérant la perception des modulations lentes du signal vocal.

  • Recrutement auditif, réduisant la plage dynamique utile.

Ces particularités rendent les patients plus sensibles aux distorsions causées par des compressions rapides, qui modifient l’enveloppe du signal en temps réel.

Compression rapide vs compression lente : une question de compromis

Compression rapide Compression lente
Temps d’attaque < 5 ms ; retour < 20 ms (Dillon, 2012) Temps d’attaque et retour : 0,5 à 20 s (Moore, 2016)
Avantage : meilleure audibilité de la parole faible Avantage : meilleure préservation de l’enveloppe temporelle
Inconvénient : distorsion spectro-temporelle possible Inconvénient : moins d’amplification instantanée des sons faibles
Idéale en cas de champ dynamique très restreint Idéale si le patient s’appuie sur l’enveloppe temporelle

La réponse de Phonak : Digital Adaptive Contrast et compression lente

Avec la gamme Naída, Phonak introduit un réglage de compression lente fondé sur son algorithme Phonak Digital Adaptive Contrast. Ce système vise à :

  • Maximiser la stabilité du gain dans le temps.

  • Minimiser les distorsions de l’enveloppe vocale.

  • Préserver les contrastes temporels utiles à la reconnaissance des voyelles.

Données expérimentales : effet sur l’enveloppe vocale

Des mesures effectuées avec un mannequin KEMAR ont montré :

  • À 65 dB SPL (parole calme), la compression lente restitue une dynamique du signal supérieure à celle de la compression rapide (+5 dB).

  • À 80 dB SPL (parole intense), la compression lente maintient une dynamique plus proche du signal original que le mode linéaire ou rapide.

  • En environnement bruyant (voix + bruit, S/B = +15 dB), la compression lente préserve mieux l’enveloppe temporelle, essentielle à la perception de la parole dans le bruit.

Ces résultats confirment que la compression lente permet une meilleure restitution de l’enveloppe temporelle, en particulier utile aux utilisateurs ayant une faible résolution auditive.

Recommandations cliniques

Phonak propose des guidelines de sélection en fonction des profils patients :

Traitement Indications cliniques
Compression rapide Recrutement marqué, champ dynamique très étroit, besoin de MPO bas
Gain linéaire Transition depuis un appareillage analogique, préférence forte pour une écoute non modifiée
Compression lente Mauvaise intelligibilité dans le bruit, forte dépendance aux indices d’enveloppe temporelle

Signes d’orientation vers une compression lente :

  • Distinction de la parole inférieure aux attentes malgré un gain suffisant.

  • Expérience positive avec des réglages analogiques ou linéaires.

  • Sensibilité subjective aux variations trop rapides de volume.

La compression lente développée par Phonak pour ses aides auditives Naída B offre aux audioprothésistes une option précieuse dans la gestion des patients atteints de perte auditive sévère à profonde. En préservant mieux l’enveloppe temporelle du signal, elle peut améliorer l’intelligibilité de la parole, notamment dans les environnements complexes, pour les patients qui tolèrent mal les effets de la compression rapide. Elle constitue un outil supplémentaire pour personnaliser l’appareillage en fonction des mécanismes perceptifs résiduels de chaque patient.

Chez Audition Marc Boulet, l’ensembles des audioprothésistes sont formés au bon réglage des compressions. Faites un essai gratuit.

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