Dans le cadre de l’examen de la proposition de loi intitulée « Améliorer l’accès aux soins dans les territoires », présentée par le sénateur Philippe Mouiller (Les Républicains), les sénateurs ont adopté, le mardi 13 mai en première lecture, un amendement gouvernemental introduisant un décret de compétences pour les audioprothésistes. Longtemps attendu par la profession, ce décret pourrait marquer un tournant dans l’organisation des soins auditifs en France, tout en s’inscrivant dans une dynamique plus large de révision des métiers paramédicaux.

Une proposition de loi pour lutter contre les inégalités territoriales de santé

Le texte porté par le sénateur Mouiller vise à réduire les inégalités d’accès aux soins, qui restent marquées selon les territoires. De nombreux départements, en particulier ruraux ou périurbains, connaissent une pénurie chronique de professionnels de santé, en particulier de médecins généralistes. Cette situation contribue à une perte de chance pour les patients, à une surcharge des structures hospitalières et à une dégradation générale du parcours de soins.

Pour répondre à ces enjeux, la proposition de loi prévoit plusieurs leviers :

  • Une meilleure évaluation des besoins locaux en santé, via des diagnostics territoriaux plus précis ;
  • La mise en place d’engagements spécifiques pour les médecins s’installant en libéral, comme l’obligation d’exercer à temps partiel dans les zones sous-dotées, ou encore l’application de tarifs encadrés dans ces mêmes zones ;
  • Le développement de la coopération interprofessionnelle, avec un objectif clair : optimiser le temps médical disponible en valorisant les compétences des autres professionnels de santé.

C’est dans ce dernier axe qu’intervient l’amendement relatif aux audioprothésistes, qui s’inscrit dans un mouvement plus global de délégation de certaines tâches, aujourd’hui concentrées chez les médecins, vers des professions paramédicales formées, encadrées, et reconnues.

Un décret de compétences pour sécuriser et élargir la pratique des audioprothésistes

L’amendement adopté prévoit qu’un décret, pris en Conseil d’État après avis de l’Académie nationale de médecine et de la Haute Autorité de santé, vienne définir précisément les actes pouvant être réalisés par les audioprothésistes. Ces avis seront réputés rendus s’ils ne sont pas transmis dans un délai de trois mois, ce qui évite un blocage institutionnel.

Ce décret vise plusieurs objectifs :

  1. Clarifier et sécuriser le périmètre d’intervention des audioprothésistes, en définissant les actes relevant de leur champ de compétences, ce qui apportera une base légale claire à leur pratique ;
  2. Faciliter l’accès aux soins auditifs, en évitant aux patients des délais ou des étapes superflues lorsqu’un professionnel non médecin est en capacité d’intervenir de manière autonome ;
  3. Alléger la charge pesant sur les médecins, notamment les ORL, en autorisant les audioprothésistes à effectuer certains gestes simples et non invasifs, comme le retrait non instrumental des bouchons de cérumen, lorsque la situation le permet.

Il est important de souligner que cette évolution ne vise pas à substituer les audioprothésistes aux médecins, mais à organiser une complémentarité cohérente, encadrée, et au service du patient.

Une dynamique déjà amorcée par le gouvernement

Cette mesure ne sort pas de nulle part : elle s’inscrit dans le prolongement du pacte gouvernemental de lutte contre les déserts médicaux, présenté en 2023. Ce pacte prévoyait déjà, parmi ses axes forts, la montée en compétences de certaines professions paramédicales, comme les infirmiers en pratique avancée (IPA), les orthoptistes, ou encore les audioprothésistes.

L’idée générale est de mieux utiliser les ressources humaines existantes, en donnant davantage d’autonomie à des professionnels formés, capables de répondre à des besoins croissants, en particulier dans un contexte de vieillissement de la population et d’augmentation des troubles auditifs liés à l’âge.

Une étape structurante pour la profession d’audioprothésiste

Si l’Assemblée nationale confirme cet amendement — ce qui semble probable étant donné qu’il s’agit d’une initiative gouvernementale —, cela constituera une avancée significative pour la profession. En effet, ce décret pourra servir de socle réglementaire pour plusieurs réformes attendues :

  • La réingénierie du diplôme d’État d’audioprothésiste, afin d’adapter la formation initiale aux compétences élargies et aux attentes du système de santé ;
  • La création d’un Ordre professionnel des audioprothésistes, sur le modèle de ce qui existe pour les infirmiers ou les masseurs-kinésithérapeutes, dans une optique d’autonomie, de régulation et de responsabilité renforcées.

De nombreux représentants de la profession, syndicats et fédérations compris, militent depuis plusieurs années pour cette reconnaissance accrue, estimant que les audioprothésistes sont en première ligne face à des enjeux de santé publique majeurs : perte d’audition liée au vieillissement, isolement social, troubles cognitifs, et inégalités d’accès aux aides auditives.

Une réforme qui interroge aussi les équilibres professionnels

Toutefois, cette réforme suscite également des débats. Certains médecins ORL s’inquiètent d’une possible confusion entre les rôles, ou d’un transfert de compétences mal encadré. D’où l’importance du décret, qui devra être rédigé avec précision et concertation, en s’appuyant sur les instances scientifiques et les représentants des professions concernées.

Il ne s’agit pas d’opposer les métiers, mais bien de construire une chaîne de soins cohérente, fluide, au bénéfice des patients. En permettant à chacun d’exercer pleinement dans le cadre de ses compétences reconnues, le système de santé pourra gagner en efficacité, en accessibilité et en qualité.

Les grandes lignes du pacte gouvernemental contre les déserts médicaux

Le pacte de lutte contre les déserts médicaux, dévoilé en 2023, repose sur cinq piliers principaux :

  1. Responsabilisation des jeunes médecins : renforcement de l’obligation de stage ou d’exercice en zone sous-dense dans le cadre des études médicales, avec possibilité de contrats d’engagement de service public étendus.

  2. Revalorisation des professionnels de santé dans les territoires : primes à l’installation, aides au logement et accompagnement logistique pour les médecins ou auxiliaires médicaux choisissant de s’implanter dans les zones fragiles.

  3. Déploiement des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) : ces organisations locales facilitent la coordination des soins entre médecins, pharmaciens, infirmiers, kinésithérapeutes, audioprothésistes, etc.

  4. Extension du rôle des professions paramédicales : développement du nombre d’infirmiers en pratique avancée (IPA), élargissement des compétences des orthoptistes, des pharmaciens et, désormais, des audioprothésistes.

  5. Numérisation et télésoins : généralisation de la téléconsultation dans les zones rurales, avec des cabines connectées ou des dispositifs mobiles accompagnés par un professionnel.

Ce pacte reconnaît explicitement que l’évolution des métiers paramédicaux est un levier stratégique pour soulager les médecins et garantir un accès rapide aux soins de premier recours.

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