« * » indique les champs nécessaires
Rémi Hervochon, Diane Picard, Yann Nguyen, Ghizlene Lahlou, Georges Lamas, Frédéric Tankere
ENT Department, Hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris – Étude parue dans European Archives of Oto-Rhino-Laryngology, avril 2025
La chirurgie de l’étrier, longtemps considérée comme le traitement de référence de l’otospongiose, connaît un net déclin en France depuis une décennie. Cette étude rétrospective, fondée sur les données nationales du PMSI entre 2013 et 2022, met en évidence une baisse de près de 30 % du nombre d’interventions, passant de 4268 à 3007 actes annuels. Parallèlement, l’utilisation de la technique au laser s’est progressivement imposée, représentant désormais plus de 60 % des cas. Cette tendance, qui pourrait à terme compromettre la formation des jeunes chirurgiens ORL, interroge sur les évolutions épidémiologiques, technologiques et organisationnelles de la prise en charge de l’otospongiose en France. L’article explore les facteurs explicatifs de ce recul et propose une réflexion sur l’avenir de cette chirurgie spécialisée.
Alors que la chirurgie de l’otospongiose représentait historiquement un pilier de l’otologie opératoire, les données récentes issues du PMSI révèlent une diminution constante du nombre d’interventions en France au cours des dix dernières années. Entre 2013 et 2022, le nombre de chirurgies de l’étrier est passé de 4268 à 3007, soit une baisse de 29,5 %.
L’otospongiose, liée à une fixation progressive de l’étrier, engendre une surdité de transmission ou mixte. En l’absence de traitement pharmacologique efficace, deux options sont disponibles : les aides auditives ou la chirurgie (stapedotomie/stapedectomie).
La chirurgie permet souvent une amélioration auditive nette et durable, en contournant l’osselet bloqué grâce à une prothèse reliant l’enclume à l’oreille interne.
En France, l’indication chirurgicale repose sur une perte moyenne ≥30 dB, un écart air-os >20 dB, ou l’échec/désir d’éviter une aide auditive. Pourtant, malgré son efficacité, cette option est de moins en moins proposée.
Cette diminution semble multifactorielle :
Hypothèse épidémiologique : L’incidence de l’otospongiose serait en recul, possiblement influencée par la vaccination contre la rougeole.
Progrès technologiques : Les aides auditives se sont améliorées et sont désormais entièrement remboursées via le dispositif « 100 % Santé ».
Meilleure imagerie : Le recours au scanner a permis d’affiner les diagnostics, évitant des stapedotomies inutiles.
Démographie médicale en déclin : Le nombre d’ORL a diminué de 2973 en 2002 à 2441 en 2023, avec une chute parallèle des vocations chirurgicales.
Changements de paradigme thérapeutique : L’implant cochléaire est désormais préféré pour les formes avancées.
Covid-19 : L’année 2020 a connu une chute brutale des actes (-717 vs prévisions), avec un rattrapage partiel seulement en 2021 et 2022.
Avec moins de 3500 interventions annuelles, la formation des jeunes ORL devient critique. Une étude britannique montre qu’un résident réalise en moyenne moins de 8 stapedotomies au cours de sa formation, alors que la courbe d’apprentissage nécessite au moins 40 cas.
Si la tendance actuelle se poursuit, seuls 500 patients pourraient bénéficier de cette chirurgie chaque année d’ici 15 ans, rendant difficile le maintien d’une expertise nationale.
Entre 2013 et 2022, la proportion de chirurgies assistées par laser est passée de 42 % à 61 %. Cette évolution reflète une adoption progressive de cette technologie, d’abord dans les hôpitaux universitaires (67 % dès 2013, 81 % en 2022), puis dans les cliniques non lucratives (de 26 % à 74 %).
Les établissements à but lucratif restent en retrait (40 % en 2022), probablement en raison du coût initial d’acquisition du matériel.
Sur le plan clinique, les résultats auditifs sont équivalents entre le laser et les techniques conventionnelles. Toutefois, certains travaux suggèrent un meilleur gain osseux à haute fréquence et une fermeture plus efficace de l’écart air-os avec le laser.
La majorité des interventions reste réalisée dans les cliniques privées (45 %), mais cette part diminue plus rapidement que dans les hôpitaux universitaires (41 %), où la baisse est plus modérée.
Fait notable : les cliniques à but non lucratif sont les seules à avoir vu leur activité augmenter sur la période étudiée. Leur capacité à réinvestir les bénéfices dans le matériel (comme le laser), leur attractivité, et la qualité de leur accueil pourraient expliquer cette dynamique.
La chirurgie de l’étrier reste une intervention sûre, efficace, rapide, et appréciée des patients. Sa disparition progressive ne reflète ni un désintérêt clinique ni une perte de pertinence médicale, mais un ensemble de facteurs structurels et sociaux qu’il convient d’anticiper.
Face à ce constat, les sociétés savantes, les centres de formation et les décideurs politiques doivent s’engager pour maintenir cette compétence rare et précieuse dans le paysage ORL français.