La surdité congénitale est l’un des troubles sensoriels les plus fréquents à la naissance. Elle touche environ 1,7 enfant sur 1 000 dans le monde, soit près de 140 000 nouveaux cas chaque année. Dans la majorité des situations, l’origine est génétique : plus d’un enfant sur deux atteint d’une surdité profonde possède une mutation dans l’un des gènes impliqués dans le fonctionnement de l’oreille interne. Traiter ces surdités est le challenge relevé par DB-OTO…

Parmi ces gènes, OTOF occupe une place particulière. Il code une protéine appelée otoferline, un acteur clé de la transmission du signal sonore entre les cellules ciliées internes (les capteurs sensoriels de la cochlée) et le nerf auditif. Sans otoferline, les cellules perçoivent les vibrations mais sont incapables de les transformer en message électrique. Le son est capté mais ne peut pas être transmis au cerveau : l’enfant est sourd, même si son oreille interne reste morphologiquement intacte. Cette forme de surdité, appelée neuropathie auditive liée au gène OTOF, représente environ 1 à 3 % des surdités génétiques congénitales.

Jusqu’ici, le traitement standard reposait sur l’implant cochléaire, un dispositif électronique qui remplace la cochlée défaillante en stimulant directement le nerf auditif. Bien qu’efficace pour permettre l’accès au langage oral, l’implant présente des limites :

  • perception imparfaite de la musique,

  • difficulté à suivre les conversations dans le bruit,

  • perte de la spatialisation sonore,

  • nécessité d’un appareillage externe à vie.

Dans ce contexte, la possibilité de restaurer une audition naturelle, sans prothèse, grâce à la thérapie génique, constituait un rêve médical depuis plus de vingt ans. Ce rêve commence aujourd’hui à se concrétiser grâce à DB-OTO, un traitement révolutionnaire mis au point par Regeneron Pharmaceuticals.

Le rôle central de l’otoferline dans le traitement DB-OTO : la clé de la synapse auditive

Pour comprendre le fonctionnement du traitement, il faut d’abord rappeler le rôle de l’otoferline.
Cette protéine, exprimée exclusivement dans les cellules ciliées internes de la cochlée, dans l’organe Corti, agit comme un capteur de calcium. Elle permet la libération rapide des neurotransmetteurs qui transmettent le signal sonore au nerf auditif.
Sans otoferline, le « dialogue » entre la cochlée et le cerveau est rompu : les sons ne peuvent pas être encodés.

La grande particularité de cette pathologie est que les cellules sensorielles restent présentes et fonctionnelles.
Autrement dit, l’oreille est « câblée » mais la connexion chimique ne s’établit plus. Cela fait de cette surdité un candidat idéal pour une approche réparatrice : en réintroduisant le gène manquant dans ces cellules encore vivantes, on peut espérer restaurer la fonction auditive.

Organe de Corti schéma avec légendes webp
Organe de Corti

DB-OTO : une prouesse biotechnologique

Le gène OTOF est volumineux – environ 6 000 paires de bases, soit plus que la capacité de chargement d’un vecteur viral classique. Pour contourner cet obstacle, les chercheurs ont développé une stratégie innovante dite dual AAV (pour adeno-associated virus). Deux vecteurs viraux AAV1 distincts transportent chacun une moitié du gène. Une fois dans la cellule, les deux fragments se rejoignent et se recombinent pour reformer la séquence complète du gène OTOF. Un promoteur appelé Myo15, spécifique des cellules ciliées, assure que la production d’otoferline se fasse uniquement dans les cellules auditives concernées, évitant ainsi toute expression non souhaitée ailleurs dans l’organisme.

L’ensemble du dispositif, baptisé DB-OTO, est le fruit de plus de dix ans de recherche préclinique. Il s’appuie sur des travaux menés initialement par Decibel Therapeutics, une entreprise rachetée ensuite par Regeneron. Les études sur la souris Otof-/- avaient déjà montré une restauration complète de l’audition et une normalisation des réponses électrophysiologiques après injection intracochléaire du traitement. Ces succès ont permis d’ouvrir la voie à l’essai chez l’humain.

Infographie traitement de la surdité par thérapie génique
Infographie traitement de la surdité par thérapie génique

Une chirurgie inspirée de l’implant cochléaire

L’administration du traitement se fait au bloc opératoire, sous anesthésie générale. Le chirurgien réalise une mastoïdectomie (ouverture de la mastoïde) puis accède à la cochlée par la fenêtre ronde – le même abord que pour une implantation cochléaire. Le vecteur viral est ensuite injecté lentement dans la cochlée à travers cette membrane, dans un volume d’environ 240 microlitres. Afin d’éviter toute surpression, une petite fenestration du canal semi-circulaire latéral permet l’évacuation du liquide (périlymphe). L’intervention dure environ une heure et ne laisse pas de cicatrice visible. Le patient reste hospitalisé quelques jours pour surveillance.

Cette approche chirurgicale, déjà maîtrisée par les équipes ORL spécialisées, facilite la diffusion du produit dans toute la spirale cochléaire, garantissant une exposition homogène des cellules ciliées internes au vecteur viral.

L’essai clinique CHORD : les premières preuves chez l’humain

L’étude CHORD, publiée dans le New England Journal of Medicine en octobre 2025, est une étude ouverte de phase 1-2, multicentrique et internationale. Douze enfants âgés de 10 mois à 16 ans, porteurs de deux mutations pathogènes du gène OTOF, y ont participé.

Les objectifs de l’étude

  • Objectif principal : obtenir à 24 semaines un seuil moyen d’audition ≤ 70 dB HL en audiométrie tonale comportementale (PTA).

  • Objectif secondaire clé : réapparition d’une réponse auditive du tronc cérébral (ABR) à ≤ 90 dB nHL.

  • Les enfants étaient traités dans une ou deux oreilles, selon le protocole.

  • Les évaluations incluaient aussi des tests de perception de la parole, des examens vestibulaires et un suivi immunologique.

Les résultats principaux

Les résultats dépassent toutes les attentes :

  • 9 des 12 enfants (75 %) ont atteint le critère principal d’efficacité à 24 semaines.

  • 6 enfants ont retrouvé la capacité d’entendre une voix douce sans aide auditive.

  • 3 enfants ont obtenu une audition normale (≤ 25 dB HL).

  • Aucun enfant non traité n’a montré d’amélioration spontanée, confirmant le rôle du traitement.

  • Les gains auditifs se sont maintenus ou améliorés jusqu’à 72 semaines de suivi.

  • Les enfants les plus âgés (jusqu’à 16 ans) ont également bénéficié du traitement, ce qui contredit les hypothèses initiales selon lesquelles l’efficacité ne serait possible qu’en bas âge.

Ces résultats représentent une première mondiale : jamais une thérapie génique n’avait permis de rétablir une audition naturelle complète chez des personnes nées sourdes.

Des progrès mesurables dans la perception et le langage grâce à DB-OTO

Les chercheurs ont également évalué la compréhension de la parole grâce à l’Early Speech Perception Test, ainsi que la progression du langage par des échelles parentales et cliniques (Global Impression Scale). Les premiers enfants traités montrent des progrès spectaculaires :

  • apparition de la reconnaissance des syllabes,

  • développement du vocabulaire,

  • compréhension sans lecture labiale,

  • et acquisition du langage oral en quelques mois.

Une participante de 10 mois, traitée d’un seul côté, a atteint 100 % de reconnaissance de mots bisyllabiques et 70 % pour les monosyllabes à 96 semaines, avec son implant cochléaire désactivé. Ces données suggèrent que l’oreille traitée perçoit et traite les sons naturellement, sans dispositif électronique.

Sécurité et tolérance de DB-OTO : un profil rassurant

Le suivi médical confirme une bonne tolérance globale. Parmi les 67 événements indésirables enregistrés, la plupart étaient liés à l’intervention chirurgicale (otite moyenne, vertige transitoire, gêne locale). Deux effets graves ont été rapportés :

  • une mastoidite du côté opposé (lié à l’implant, pas au traitement),

  • une instabilité posturale temporaire survenue après vaccination varicelle.
    Tous deux ont évolué favorablement sans séquelle.

Aucune atteinte vestibulaire persistante, ni complication neurologique, n’a été observée.
Sur le plan immunologique, des anticorps anti-AAV1 et anti-otoferline sont apparus de façon transitoire et de faible intensité, sans retentir sur l’efficacité du traitement.

Pourquoi les résultats DB-OTO sont-ils si importants ?

Ce succès marque un tournant historique pour la médecine auditive. Pour la première fois, une surdité congénitale héréditaire peut être corrigée à la source, non pas compensée par une prothèse mais réparée biologiquement. L’enfant retrouve ainsi une audition « physiologique », capable de capter la finesse des sons, la musicalité, les nuances d’intensité et la direction du son.

De plus, comme les cellules ciliées internes ne se renouvellent pas, la copie du gène thérapeutique insérée dans leur ADN devrait rester stable toute la vie. Une seule injection pourrait donc suffire à restaurer l’audition de façon durable.

Ces avancées ouvrent la voie à une nouvelle génération de traitements ciblés pour d’autres gènes impliqués dans la surdité, tels que GJB2, MYO7A, TMC1 ou STRC, qui représentent ensemble une part importante des surdités congénitales.

Cellule ciliée interne
Cellule ciliée interne

Les limites et les défis à venir

Malgré son succès, DB-OTO soulève encore plusieurs questions importantes :

  1. Taille de l’échantillon : l’étude n’a inclus que 12 enfants. Il faudra des cohortes plus larges pour confirmer la reproductibilité des résultats.

  2. Durabilité à long terme : bien que les effets se maintiennent plus d’un an, un suivi sur 5 ans est prévu pour évaluer la stabilité du gain auditif.

  3. Réponse variable entre patients : trois enfants n’ont pas atteint le seuil attendu. Des facteurs génétiques, immunitaires ou chirurgicaux pourraient influencer la pénétration du vecteur.

  4. Accès et coût : les thérapies géniques sont aujourd’hui extrêmement coûteuses (souvent plus d’un million d’euros par traitement) et nécessitent une logistique hospitalière spécialisée.

  5. Dépistage génétique précoce : l’identification des enfants porteurs de mutations OTOF dès la naissance devient cruciale. Cela suppose un dépistage néonatal élargi incluant les gènes de surdité les plus fréquents.

Une révolution silencieuse pour la communauté ORL et audioprothétique

L’arrivée de DB-OTO ne remplace pas les implants cochléaires mais complète le champ des options thérapeutiques.
Pour certains enfants, il sera possible d’envisager une approche combinée : un traitement génique d’un côté et un implant de l’autre, comme cela a été le cas dans plusieurs cas de l’étude CHORD. Ces nouvelles possibilités obligeront les équipes ORL, audioprothésistes et orthophonistes à repenser la prise en charge globale du développement auditif et linguistique.

Pour les familles, cette perspective change tout : elle transforme le pronostic d’une surdité congénitale autrefois irréversible en une condition potentiellement curable.

Vers la réparation biologique de l’audition

Le traitement DB-OTO constitue la première preuve tangible qu’une thérapie génique peut restaurer l’audition naturelle chez des enfants atteints de surdité héréditaire profonde.
Grâce à une unique perfusion intracochléaire, la cochlée retrouve sa fonction naturelle, permettant aux enfants d’entendre, de parler et de s’éveiller au monde des sons. Cette avancée, fruit de décennies de recherche en génétique, virologie et chirurgie ORL, ouvre une nouvelle ère pour la médecine auditive : celle où l’on ne se contente plus de compenser la perte, mais où l’on répare l’oreille de l’intérieur.

L’avenir de la thérapie génique auditive ne fait que commencer. Et pour les enfants nés sans entendre, il pourrait bien sonner comme la promesse d’un monde rempli de voix, de rires et de musique.

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