« * » indique les champs nécessaires
L’otorrhée constitue un symptôme fréquent en consultation ORL, touchant aussi bien l’adulte que l’enfant. Qu’elle soit aiguë ou chronique, douloureuse ou indolore, purulente, séreuse ou sanglante, elle traduit toujours une atteinte anatomique ou fonctionnelle du système auditif externe ou moyen. Cette diversité clinique impose une approche diagnostique rigoureuse, fondée sur un interrogatoire précis, un examen otoscopique attentif et des examens complémentaires ciblés. Identifier l’étiologie de l’otorrhée est indispensable pour instaurer un traitement adapté et prévenir les complications, parfois graves, liées à certaines pathologies sous-jacentes.
L’otorrhée se définit comme un écoulement de liquide par le méat acoustique externe (conduit auditif). Ce liquide peut être de nature séreuse (clair), muqueuse ou purulente, voire hémorragique ou mêlé de sang selon les cas. Il s’agit d’un symptôme traduisant une pathologie sous-jacente de l’oreille, et non d’une maladie en soi. Il est important de distinguer l’otorrhée de deux situations particulières : l’otorragie, qui correspond à un écoulement sanglant de l’oreille, et l’otoliquorrhée, qui est une fuite de liquide céphalorachidien (LCR) par l’oreille le plus souvent à la suite d’un traumatisme ou d’une chirurgie. L’otorrhée est un motif de consultation fréquent en oto-rhino-laryngologie (ORL) et justifie un interrogatoire et un examen clinique minutieux.
De nombreuses pathologies peuvent être à l’origine d’une otorrhée. Il est pratique de les regrouper par grands mécanismes étiologiques :
Otite externe aiguë : Infection du conduit auditif externe, souvent d’origine bactérienne (classiquement Pseudomonas aeruginosa) ou fongique (aspergillose, candidose). Elle fait suite à des facteurs favorisants tels que la baignade (« oreille du nageur ») ou des traumatismes locaux (coton-tige, grattage). Cliniquement, l’otite externe provoque une otalgie intense exacerbée par la mobilisation du pavillon ou du tragus, avec un conduit auditif très inflammatoire et sténosé à l’otoscopie. L’otorrhée associée est typiquement purulente (jaune-verdâtre) et fétide si Pseudomonas, ou parfois blanchâtre grumeleuse en cas de surinfection fongique (aspergillose). Dans les formes nécrosantes (otite externe maligne du diabétique), l’infection s’étend aux structures osseuses du crâne et s’accompagne de douleurs chroniques très sévères, de tissu de granulation dans le conduit et parfois d’une paralysie faciale. Cette forme grave touche surtout les patients diabétiques ou immunodéprimés.
Otite moyenne aiguë perforée : Infection bactérienne aiguë de l’oreille moyenne (tympan fermant la caisse du tympan), fréquente chez l’enfant. Une pression purulente s’accumule derrière le tympan et provoque sa perforation aiguë, entraînant une otorrhée de pus épais jaune ou blanchâtre, parfois strié de sang. On retrouve typiquement une otalgie fébrile intense qui se soulage brutalement lors de la perforation avec écoulement du pus. Le tympan perforé s’observe à l’otoscopie une fois les sécrétions évacuées. L’audition est diminuée (hypoacousie de transmission) pendant l’épisode. Ce type d’otorrhée aiguë s’accompagne souvent de douleurs vives mais reste généralement bénigne avec une cicatrisation spontanée du tympan dans la majorité des cas.
Otite moyenne chronique suppurative : Inflammation chronique (>6 semaines) de l’oreille moyenne, généralement avec perforation tympanique permanente. Elle se manifeste par une otorrhée purulente chronique, indolore ou peu douloureuse, évoluant par poussées. On distingue les formes simples et les formes à cholestéatome. Dans l’otite moyenne chronique simple (non cholestéatomateuse), on a souvent des antécédents d’otites répétées et une hypoacousie de transmission. Dans la forme avec cholestéatome, l’otorrhée est typiquement fétide et rebelle aux traitements usuels. Le cholestéatome est une masse de squames kératosiques dans l’oreille moyenne, se comportant comme un kyste épidermique envahissant et destructeur des osselets et des structures adjacentes. Il s’agit d’une complication non infectieuse à l’origine (lésion bénigne), mais souvent surinfectée, ce qui explique l’écoulement purulent malodorant. Un cholestéatome non traité peut éroder l’os temporal et entraîner des complications graves : surdité profonde, atteinte du nerf facial, abcès cérébral, méningite….
Otite tuberculeuse : Cause infectieuse rare d’otorrhée, due à Mycobacterium tuberculosis. Elle doit être évoquée devant une otorrhée chronique indolore ne répondant pas aux antibiotiques habituels, surtout en contexte de tuberculose ou d’immunodépression. Classiquement, l’otite tuberculeuse provoque une otorrhée purulente intermittente, associée à des perforations tympaniques multiples et à une destruction ossiculaire disproportionnée par rapport aux symptômes modérés. Une paralysie faciale peut survenir dans certains cas avancés. La confirmation diagnostique se fait par la mise en évidence du bacille de Koch (examen histologique granulomateux et cultures spécifiques) et le traitement est médical (antituberculeux prolongés).
Fracture du rocher (os temporal) : Un traumatisme crânien sévère avec fracture de la base du crâne peut entraîner une otorrhée par effraction de l’oreille moyenne ou de l’oreille interne. Typiquement, on observe une otorrhée claire correspondante à du liquide céphalorachidien (otoliquorrhée), parfois mêlée de sang. Ce signe s’accompagne souvent d’ecchymoses péri-auriculaires (signe de Battle) et d’une hypoacousie de transmission ou perception selon l’atteinte (lésion de la chaîne ossiculaire ou de l’oreille interne). La présence d’une otoliquorrhée post-traumatique signe une brèche ostéoméningée et expose au risque de méningite. Une fracture du rocher peut également provoquer une otorragie (écoulement franc de sang) sans otorrhée prolongée, par déchirure des vaisseaux de l’oreille moyenne.
Perforation tympanique traumatique : Un traumatisme direct de la membrane tympanique (coup de coton-tige, barotraumatisme par explosion ou déflagration, gifle violente sur l’oreille, etc.) provoque une déchirure du tympan. Il en résulte une otorragie immédiate, puis un écoulement sérosanguinolent modéré. Le patient ressent une douleur vive initiale, avec une perte auditive brutale de transmission et des acouphènes. À l’otoscopie, on visualise la perforation tympanique (souvent de forme irrégulière avec parfois des contusions hémorragiques sur le reste du tympan). En l’absence d’infection surajoutée, l’écoulement s’assèche spontanément en quelques jours et le tympan peut cicatriser en quelques semaines. Cependant, une surinfection est possible si de l’eau pénètre dans l’oreille traumatisée, transformant l’otorrhée en otite moyenne aiguë sur perforation traumatique.
Barotraumatisme de l’oreille moyenne : Les changements de pression barométrique (lors de la plongée sous-marine, de la descente d’avion, d’une hyperbarie, etc.) peuvent induire une barotraumatisme de l’oreille. Une forte dépression ou surpression non équilibrée par la trompe d’Eustache peut rompre le tympan. Le tableau associe une otalgie à l’équilibrage, une hypoacousie immédiate et parfois des vertiges si le trauma intéresse l’oreille interne. Une otorragie ou une otorrhée séreuse peut être observée en cas de perforation tympanique. Le plus souvent le barotraumatisme tympanique reste modéré et le tympan guérit spontanément, mais des formes graves (barotraumatismes explosifs) peuvent entraîner des fistules périlymphatiques avec otorrhée claire (fistule de LCR rare) ou hémorragique via la fenêtre ronde.
Polype auriculaire : La présence d’un polype dans le conduit auditif externe ou en arrière du tympan (visible en otoscopie) correspond à une masse charnue saignant facilement. Il s’agit le plus souvent d’un polype inflammatoire lié à une otite moyenne chronique suppurée (tissu de granulation qui bourgeonne à travers une perforation). Un tel polype signe fréquemment l’existence d’un cholestéatome sous-jacent dans l’oreille moyenne. Dans de plus rares cas, un polype du conduit peut être d’origine tumorale vraie (papillome, adénome). Toute lésion polypoïde persistante doit donc être biopsiée pour analyse histologique afin d’éliminer une tumeur maligne. Un polype auriculaire se manifeste par une otorrhée souvent sanglante ou sanieuse (sang mêlé de sérosités), traînante.
Carcinome du conduit auditif ou de l’oreille moyenne : Les tumeurs malignes primitives de l’oreille sont rares (carcinome épidermoïde le plus fréquent). Elles surviennent surtout chez le sujet âgé. Le tableau est celui d’une otorrhée chronique unilatérale souvent sanglante et fétide, associée à des douleurs auriculaires tenaces et une perte auditive progressive. L’otoscopie peut révéler une masse bourgeonnante dans le conduit auditif, facilement hémorragique au contact. Des signes comme une paralysie faciale, des otalgies rebelles ou des adénopathies régionales évoquent une extension tumorale. Le diagnostic est confirmé par biopsie du tissu suspect.
Tumeur glomique (paragangliome tympanique/jugulaire) : Tumeur bénigne vascularisée développée à partir des paraganglions chémo-récepteurs du temporal (glomus). C’est la tumeur la plus fréquente de l’oreille moyenne. Elle se manifeste classiquement par des acouphènes pulsatiles synchrones du pouls, une hypoacousie de transmission et parfois une otorrhée chronique hémorragique. À l’otoscopie, on peut voir une masse rouge bleutée derrière le tympan intact, battant au rythme cardiaque. Si la tumeur glomique s’ulcère à travers le tympan, une otorrhée sanglante ou une otorragie survient. Ces tumeurs peuvent aussi entraîner des paralysies craniennes basse à un stade avancé (nerfs IX, X, XI touchés dans les glomus jugulaires).
Post-chirurgie otologique : Après une chirurgie de l’oreille (tympanoplastie, mastoïdectomie, mise en place d’un implant, etc.), un écoulement auriculaire peut être observé dans les jours ou semaines suivant l’intervention. Cet écoulement peut correspondre à un écoulement sérosanguin normal de cicatrisation (surtout si des mèches ou des matériaux résorbables ont été placés en caisse ou dans le conduit). Cependant, une otorrhée post-opératoire persistante ou fétide évoque une infection du site opératoire (otite moyenne post-chirurgicale) ou une fistule du liquide cérébro-spinal (otoliquorrhée post-chirurgicale). Par exemple, une rhinoliquorrhée associée peut orienter vers une brèche méningée après chirurgie de l’oreille ou de la base du crâne. Il faut être vigilant car une infection post-opératoire de l’oreille opérée peut mettre en jeu le résultat fonctionnel (tympanoplastie) et une fuite de LCR expose à la méningite.
Aérateurs transtympaniques (diabolos) : Les enfants porteurs d’aérateurs transtympaniques (yoyos) présentent fréquemment des épisodes d’otorrhée par surinfection de l’oreille moyenne à travers le tube. Environ 20 à 50 % des enfants avec des tubes ventilation auront au moins une otorrhée durant la période où le dispositif est en place. Ces otorrhées surviennent typiquement lors d’infections rhinopharyngées (otites média aiguës qui s’écoulent par le tube au lieu de faire une otite fermée). L’otorrhée sur aérateur est en général purulente mais bien tolérée (peu de fièvre ou de douleur), et se résout avec un traitement local approprié. Par ailleurs, toute pose d’aérateur peut s’accompagner d’un petit écoulement sanglant transitoire dans les jours suivant l’intervention (otorragie minime post-opératoire sans gravité).
Otoliquorrhée spontanée : En dehors des causes traumatiques ou post-chirurgicales, de rares cas de fistule spontanée de LCR vers l’oreille peuvent se voir (encéphalocèle, malformation de la base du crâne, érosion osseuse progressive dans les otites chroniques cholestéatomateuses). Le signe en est un écoulement clair et limpide intermittent par le conduit auditif. Il peut s’agir d’une otorrhée purement aqueuse ou légèrement jaune pâle, correspondant à du liquide cérébro-spinal. Ce diagnostic rare doit être évoqué devant une otorrhée claire inexpliquée, et confirmé par des tests spécifiques sur le liquide (recherche de béta-2 transferrine, marqueur du LCR) et par l’imagerie.
Dermatoses du conduit auditif : Des pathologies dermatologiques du conduit peuvent provoquer un suintement otorrhéique. Par exemple, un eczéma du conduit (dermatite séborrhéique ou allergique) peut entraîner un écoulement séreux clair ou légèrement jaunâtre, associé à un conduit rouge et prurigineux. Le psoriasis ou le lichen plan du conduit peuvent également se manifester par des desquamations et un écoulement. Ces dermatoses sont souvent surinfectées par des bactéries ou des champignons, ce qui peut troubler le diagnostic en mimant une otite externe infectieuse. L’absence de douleur intense et la présence de lésions cutanées évocatrices aident à l’identification.
Corps étranger du conduit auditif : Surtout chez l’enfant, l’introduction d’un corps étranger (petite bille, coton, insecte…) dans le conduit auditif peut occasionner une otorrhée. L’irritation et l’infection secondaire du conduit autour du corps étranger provoquent un écoulement purulent fétide parfois sanglant. L’examen otoscopique retrouve l’objet au fond du conduit dans la plupart des cas, sauf si l’inflammation et le pus en empêchent la visibilité. Ce diagnostic doit toujours être recherché devant une otorrhée unilatérale chez un jeune enfant, surtout en l’absence d’antécédents d’otite. L’extraction du corps étranger entraîne généralement la résolution de l’écoulement en quelques jours (avec un traitement local antibiotique si nécessaire).
Les symptômes associés à l’otorrhée dépendent de sa cause sous-jacente, et le contexte clinique oriente souvent vers l’étiologie :
Douleur auriculaire (otalgie) : C’est un symptôme capital à évaluer. Une otalgie intense et aiguë suggère une otite externe aiguë ou une otite moyenne aiguë, surtout si elle cède après l’écoulement (tympan qui se perce). Dans l’otite externe, la douleur est accentuée par la traction du pavillon ou la pression sur le tragus, et le conduit est très sensible. Au contraire, une otorrhée chronique indolore est évocatrice d’une otite moyenne chronique (parfois tuberculeuse) ou d’un cholestéatome. Une douleur profonde persistante, disproportionnée, irradiant vers la mastoïde ou la mandibule, doit faire craindre une complication (mastoïdite, otite externe nécrosante, tumeur).
Hypoacousie (baisse de l’audition) : Elle est fréquemment associée à l’otorrhée. Une surdité de transmission est typique lorsqu’il y a une atteinte de l’oreille moyenne : otite moyenne aiguë (transitoire), otite chronique avec perforation ou cholestéatome (plus durable), blocage mécanique du conduit par un corps étranger ou un bouchon purulent. Par exemple, dans l’otite moyenne chronique, une surdité de transmission modérée est habituelle. En cas de fracture du rocher, une surdité de transmission (luxation des osselets) ou de perception (lésion cochléaire) peuvent survenir. Une surdité neurosensorielle associée à l’otorrhée oriente vers une atteinte de l’oreille interne (ex. labyrinthite sur otite moyenne aiguë compliquée, trauma acoustique, tumeur envahissant le labyrinthe). Toute baisse auditive associée à une otorrhée doit être objectivée par une audiométrie et surveillée.
Fièvre et signes généraux : Un syndrome fébrile traduit en général un processus infectieux aigu. Une otite moyenne aiguë perforée s’accompagne souvent de fièvre et d’altération de l’état général chez l’enfant. De même, une mastoïdite (complication de l’otite moyenne) provoque fièvre et douleurs derrière l’oreille, avec otorrhée persistante purulente. En revanche, la fièvre est absente ou discrète dans les otites chroniques simples ou tuberculeuses. Une fièvre chez un patient immunodéprimé avec otorrhée doit faire évoquer une otite externe maligne ou une complication intracrânienne (abcès cérébral, méningite) et impose une prise en charge urgente.
Prurit auriculaire : La sensation de démangeaison dans le conduit auditif oriente plutôt vers une cause externe de l’otorrhée, notamment une otite externe fongique ou un eczéma du conduit. Dans les otomycoses, le prurit est un symptôme proéminent, parfois plus gênant que la douleur, et l’otorrhée est souvent peu abondante, de couleur blanchâtre ou noire ponctuée de débris mycéliens (selon le champignon en cause). Un écoulement clair et un prurit peuvent également s’observer dans les dermatoses (eczéma, psoriasis).
Vertiges et troubles de l’équilibre : Un vertige associé à une otorrhée est un signe d’alarme en ORL. Il peut révéler une extension de l’infection à l’oreille interne (labyrinthite suppurée) dans une otite moyenne aiguë ou chronique, ou une fistule labyrinthique due à un cholestéatome érodant les canaux semi-circulaires. Un traumatisme avec fistule périlymphatique (déhiscence des fenêtres ovales/rondes) peut causer une otorrhée (souvent sanglante) avec vertige positionnel. En présence de vertiges, un examen neurologique complet est requis pour éliminer une complication centrale (abcès cérébelleux, atteinte du tronc cérébral). Des signes neurologiques associés (diplopie, paralysie faciale, troubles de la déglutition…) chez un patient présentant une otorrhée doivent faire suspecter une urgence (p. ex. fracture du rocher avec atteinte du VII, syndrome du foramen jugulaire par tumeur glomique, extension méningée).
Autres symptômes : Des bourdonnements d’oreille (acouphènes) peuvent accompagner l’otorrhée, en particulier dans les atteintes de l’oreille moyenne et interne (par exemple acouphènes pulsatiles dans les tumeurs glomiques ou la périlymphfistule, acouphènes continus dans la surdité associée aux cholestéatomes ou aux traumatismes). Une sensation d’oreille bouchée ou de plénitude auriculaire est fréquente dans les otites séreuses ou externes (le conduit étant obstrué par le gonflement et le pus). Enfin, une otalgie réflexe (douleur projetée) sans lésion otoscopique notable pourrait faire rechercher une autre cause extrinsèque (dentaire, ATM, névralgie) – toutefois, si otorrhée présente, il y a pratiquement toujours une pathologie de l’oreille correspondante.
Contexte clinique : Il est essentiel de rechercher des éléments de contexte orientant le diagnostic : baignades répétées (otites externes), usage de cotons-tiges ou traumatismes récents (perforation traumatique), antécédents d’otites à répétition ou de chirurgie de l’oreille (otites chroniques, otorrhée iatrogène), voyage en avion/résurgence de plongée (barotraumatisme), diabète ou immunosuppression (risque d’otite externe maligne), tuberculose ou contage tuberculeux (otite tuberculeuse), présence d’un corps étranger possible (enfant en bas âge avec otorrhée unilatérale fétide), âge avancé avec otorrhée sanglante (carcinome du conduit jusqu’à preuve du contraire), notion de trauma crânien (fracture du rocher, otoliquorrhée), etc. L’interrogatoire et l’examen général orientent ainsi les explorations complémentaires.
L’évaluation d’une otorrhée repose d’abord sur un examen clinique ORL complet, complété au besoin par des examens paracliniques ciblés.
Otoscopie : C’est l’examen clé en première intention. À l’aide d’un otoscope (ou idéalement sous microscope otologique), le praticien inspecte le conduit auditif externe et le tympan. Il pourra être nécessaire de réaliser un nettoyage préalable du conduit (aspiration des débris et du pus, méchage antiseptique) afin de bien visualiser la membrane tympanique. L’otoscopie permet de distinguer la plupart des causes d’otorrhée : on peut diagnostiquer une perforation tympanique, constater les signes d’une otite externe (conduit rouge, œdématié, rempli de débris, tympan souvent normal mais masqué), identifier la présence d’un corps étranger, d’un polype ou d’une masse tumorale, etc. Il est souvent utile d’examiner également le nez et la gorge (pour rechercher une source nasopharyngée d’infection ou un écoulement rétro-pharyngé, et évaluer l’état de la trompe d’Eustache) ainsi que d’examiner le patient sur le plan neurologique (nerfs crâniens) en cas de signes associés préoccupants. L’otoendoscopie (caméra endoscopique fine) peut compléter l’otoscopie microscopique pour visualiser des recoins difficiles (récessus attique dans la suspicion de cholestéatome, par exemple).
Audiométrie : Un audiogramme tonal et vocal est indiqué dès qu’il existe une hypoacousie subjective ou objective associée, ou dans le cadre d’une otorrhée chronique afin de faire le point sur la fonction auditive. L’audiométrie permet de quantifier le déficit auditif et de préciser son type (transmission, perception ou mixte). Par exemple, une otite moyenne chronique simple donne typiquement une surdité de transmission pure; la présence d’une composante neurosensorielle ferait suspecter une complication labyrinthique ou une pathologie concomitante. L’évolution de l’audition sous traitement est également un bon indicateur de l’efficacité thérapeutique (ex : amélioration après traitement d’une otite externe congestive qui libère le conduit, ou après une chirurgie du cholestéatome). On peut y associer une tympanométrie qui évaluera la fonction du tympan et de la trompe d’Eustache (tympanogramme plat en cas de perforation par exemple).
Imagerie : Les examens d’imagerie sont indispensables dans certains contextes, notamment pour les otorrhées chroniques ou compliquées. Le scanner haute résolution (TDM) des os temporaux est l’examen de choix pour visualiser l’anatomie de l’oreille moyenne et interne, l’état de la cavité mastoïdienne, des osselets et d’éventuelles lésions érosives. On le réalise par exemple devant une otite chronique avec suspicion de cholestéatome (recherche d’érosion osseuse), en cas de complications (mastoïdite, abcès, fistule labyrinthique), ou face à une fracture du rocher (bilan de l’atteinte osseuse et des dommages aux structures de l’oreille). L’IRM avec injection de gadolinium est complémentaire pour évaluer les atteintes des tissus mous et intracrâniennes : extension endocrânienne d’un cholestéatome ou d’une mastoïdite (abcès), visualisation d’une tumeur glomique ou d’un neurinome (diagnostic différentiel), mise en évidence d’une inflammation du tegmen (dure-mère) dans l’otite externe maligne, confirmation d’une fistule de LCR, etc.. En pratique, face à une otorrhée d’étiologie incertaine ou ne répondant pas aux traitements usuels, on réalisera une imagerie (TDM et/ou IRM) pour éclaircir la cause. Par ailleurs, une simple radiographie standard (incidence de Schüller) de la mastoïde est aujourd’hui moins utilisée, sauf ressources limitées, car beaucoup moins précise que le scanner dans les otites chroniques.
Prélèvements bactériologiques et cytopathologiques : L’analyse du matériel d’otorrhée peut orienter le traitement, surtout dans les infections rebelles. Un écouvillonnage de l’écoulement pour examen bactériologique (et mycologique) avec antibiogramme est recommandé dans les otites chroniques suppurées, les otorrhées sous drainage transtympanique, les otites externes malignes ou toute situation où un germe atypique est recherché (par ex. Pseudomonas, staphylocoque résistant, champignon). Il faut idéalement prélever avant le début d’un traitement antibiotique local ou général. En cas de suspicion d’otite tuberculeuse, des prélèvements spécifiques avec examen direct et culture sur milieux spécialisés, voire PCR, sont nécessaires (les prélèvements auriculaires sont souvent négatifs et la confirmation peut nécessiter une biopsie). Justement, une biopsie est indiquée pour toute lésion suspecte : un polype inexpliqué, un tissu de granulation envahissant, une masse tumorale visible au fond du conduit ou dans l’oreille moyenne doivent être biopsiés pour examen anatomo-pathologique. Ceci permet de différencier une inflammation chronique banale d’une lésion cholestéatomateuse ou néoplasique maligne, et de rechercher la présence de granulomes (pour la tuberculose, la sarcoïdose…). Enfin, si une fuite de LCR est envisagée (otoliquorrhée), on peut recueillir le liquide clair et effectuer un dosage de β2-transferrine (marqueur spécifique du LCR) pour confirmer qu’il s’agit bien de liquide céphalorachidien.
Le terme otorrhée couvre tout écoulement non sanglant de l’oreille, mais en pratique il faut affiner de quel type de liquide il s’agit et d’où il provient, afin d’établir le bon diagnostic étiologique. Les principaux diagnostics différentiels à considérer incluent :
Otorrhée vs Otorragie : Une otorragie pure (écoulement de sang rouge franc) évoque une lésion traumatique ou tumorale plus qu’une infection banale. Il faut rechercher un traumatisme crânien (fracture du rocher, plaie du conduit), un barotraumatisme violent, ou une lésion de la peau du conduit (griffure, furoncle) en cas d’otorragie aiguë. Si l’écoulement sanglant s’accompagne de tissu de granulation ou de masse visible, penser au polype inflammatoire sur otite chronique, au glomus jugulaire (saignement pulsatile de la caisse) ou à un carcinome du conduit auditif. En pratique, face à du sang dans l’oreille, l’examen attentif cherche une source locale (lacération, tympan déchiré) ; en absence de cause apparente, une tumeur du conduit doit être exclue par biopsie.
Otoliquorrhée (écoulement de LCR) : Il s’agit d’un diagnostic rare mais à ne pas méconnaître, surtout après un traumatisme crânien ou une chirurgie de l’oreille. Le liquide otorrhéique est alors limpide comme de l’eau de roche, parfois mêlé à du sang (rosé), et apparaît souvent de façon positionnelle ou à l’effort (manœuvre de Valsalva). Une rhinorrhée claire associée peut orienter vers une brèche communicante oreille-nez. La confirmation se fait par tests biologiques du liquide (β2-transferrine positive) et imagerie (scanner/IRM) montrant la fistule. Le diagnostic différentiel principal est un écoulement séreux banalisé venant d’une otite séromuqueuse rompue ou d’un exsudat inflammatoire de la peau : en cas de doute, l’analyse chimique du liquide lève l’équivoque. Toute suspicion d’otoliquorrhée impose des précautions (surélévation de la tête, antibioprophylaxie antimenigitique éventuelle) en attendant la confirmation.
Origine externe vs moyenne de l’écoulement : Il est fondamental de différencier une otorrhée provenant du conduit auditif externe (otite externe) d’une otorrhée provenant de l’oreille moyenne (otite moyenne perforée), car la prise en charge diffère. Dans l’otite externe, le tympan est intact (sauf exceptions sévères où il peut se perforer secondairement), et le conduit est tuméfié, douloureux, recouvert de débris. La douleur à la manipulation du pavillon est un signe en faveur de l’atteinte du conduit. L’hypoacousie n’est pas majeure, sauf si le conduit est bouché par le gonflement. Dans l’otite moyenne perforée, au contraire, on objective une perforation tympanique et le conduit est généralement normal en dehors de la présence de pus qui s’écoule depuis la caisse. La douleur est souvent présente au début (phase congestive) puis s’améliore après la perforation. L’hypoacousie de transmission est plus marquée (tympan ouvert et parfois chaîne ossiculaire atteinte). Parfois, les deux situations peuvent coexister (une otite externe surajoutée à une otite moyenne perforée), rendant le tableau mixte. Si un diagnostic d’otite externe est posé mais que l’évolution sous traitement local est défavorable, il faut toujours reconsidérer l’hypothèse d’une otite moyenne chronique sous-jacente (comme un cholestéatome caché derrière une perforation marginale).
Autres diagnostics à évoquer : Une otorrhée chronique purulente impose d’éliminer un cholestéatome caché si le tympan n’est pas bien visible ou si le patient présente des rechutes incessantes malgré les soins. De même, une otorrhée chez un diabétique doit faire penser à une otite externe maligne débutante, même en l’absence de douleur disproportionnée, et conduire à un examen attentif à la recherche de granulations dans le conduit. En pédiatrie, une otorrhée unilatérale fétide sans cause évidente doit systématiquement faire rechercher un corps étranger. Enfin, il faut savoir différencier une otorrhée vraie d’un écoulement extériorisé par un autre trajet : par exemple, une suppuration parotidienne ou une fistule pre-auriculaire infectée pourraient trompeusement simuler une otorrhée (écoulement à proximité du conduit). Une inspection soigneuse de la zone périauriculaire permet d’écarter ces diagnostics extrinsèques.
Le traitement d’une otorrhée vise en premier lieu à corriger sa cause. Il varie donc en fonction de l’étiologie identifiée, tout en respectant certains principes généraux communs : ne jamais laisser une oreille couler sans intervention, procéder au nettoyage régulier des sécrétions (toilette auriculaire), éviter l’entrée d’eau dans l’oreille pathologique, et soulager les symptômes (antalgie, antipyrétique). Voici les grandes lignes de prise en charge par catégorie de causes :
Otites externes : Le traitement des otites externes aiguës est principalement local. Un nettoyage doux du conduit (aspiration des débris purulents et squames) est effectué en consultation ORL. Ensuite, on administre des gouttes auriculaires associant un antibiotique et un corticostéroïde pour combattre l’infection et l’inflammation. Par exemple, des fluoroquinolones ou des aminosides en gouttes (si le tympan est intact) couplés à un corticoïde donnent de bons résultats. Il est primordial de garder l’oreille au sec : interdiction de nager, éviter l’eau du bain dans l’oreille, et ne pas manipuler le conduit (pas de coton-tige). En cas de conduit très œdémateux, une mèche imprégnée de solution antibiotique peut être mise en place pour maintenir les gouttes en contact. La douleur est soulagée par des antalgiques systémiques (paracétamol, AINS). Les antibiotiques par voie générale ne sont indiqués que si l’infection est étendue (cellulite péri-auriculaire) ou en cas d’otite externe maligne débutante. Justement, dans l’otite externe nécrosante du diabétique, le traitement repose sur des antibiotiques anti-pseudomonas IV prolongés (6 à 8 semaines, par ex. ceftazidime ou pipéracilline-tazobactam) associés aux soins locaux, et souvent un avis spécialisé en milieu hospitalier. Des contrôles réguliers de l’évolution clinique (régression des douleurs, de l’inflammation du conduit) et de l’inflammation biologique (VS, CRP) guident la durée du traitement. Une débridement chirurgical du tissu nécrotique peut être nécessaire dans les cas résistants, en collaboration avec les spécialistes de base du crâne.
Otites moyennes aiguës perforées : Une otite moyenne aiguë qui se perce doit être traitée énergiquement pour éradiquer l’infection et prévenir les complications. Le traitement de première ligne repose sur un antibiotique par voie systémique couvrant les pathogènes ORL usuels (pneumocoque, Haemophilus, streptocoque du groupe A, Moraxella…). En pratique, l’amoxicilline per os est l’antibiotique de choix initial pour l’otite aiguë perforée non compliquée, pendant 7 à 10 jours. Si une otorrhée purulente abondante persiste, on peut associer des gouttes auriculaires antibiotiques (fluoroquinolone non ototoxique de préférence, car le médicament passe en caisse par la perforation) pour assainir le milieu otique plus rapidement. La douleur est gérée par les antalgiques antipyrétiques (paracétamol, ibuprofène). Il convient de proscrire l’exposition à l’eau (bain, shampoing) tant que la perforation n’est pas refermée, en protégeant l’oreille (coton gras vaseliné dans le conduit). Une surveillance à court terme est nécessaire : contrôle otoscopique à ~10 jours pour vérifier la fermeture du tympan (qui guérit spontanément dans la majorité des cas). Si la perforation persiste au-delà de 6 semaines malgré la fin de l’écoulement, on bascule dans le cadre d’une otite chronique et une prise en charge spécialisée (tympanoplastie) pourra être discutée après 3 à 6 mois.
Otites moyennes chroniques suppurées (sans cholestéatome) : En phase d’otorrhée active, le traitement médical prédomine. Des soins locaux réguliers sont réalisés : aspirations des sécrétions, lavage auriculaire doux avec solution saline ou antiseptique (sauf si contre-indiqué), éventuellement méchages. Des gouttes auriculaires antibiotiques (quinolone comme l’ofloxacine, ou ciprofloxacine en gouttes auriculaires) sont instillées pendant 1 à 2 semaines, souvent associées à un corticoïde local pour réduire l’inflammation. Un prélèvement bactériologique avant antibiothérapie peut guider le choix en cas de germe atypique ou de chronicité (les Pseudomonas et Staphylococcus étant fréquemment isolés). Par voie générale, des antibiotiques ne sont indiqués qu’en cas de poussée aiguë sévère (otite chronique active fébrile, mastoïdite incipiente) – on choisira alors une molécule couvrant le bacille pyocyanique si suspicion de ce dernier. En dehors des poussées, une otite chronique quiescente avec perforation sèche n’indique pas d’antibiotique, mais une chirurgie tympanoplastie peut être proposée pour fermer la perforation et améliorer l’audition une fois l’oreille sèche obtenue. La chirurgie (myringoplastie +/- chaînette ossiculaire) se fait à distance de tout épisode infectieux. Elle permet de stopper définitivement les otorrhées dans la plupart des cas et de récupérer tout ou partie de la fonction auditive. Une surveillance au long cours est requise pour dépister une éventuelle réactivation ou complication.
Cholestéatome : La présence d’un cholestéatome intratympanique impose un traitement chirurgical dès que possible. En préopératoire, on traite l’infection associée comme pour une otite chronique (gouttes, nettoyage) afin d’assécher l’oreille. Mais seule la chirurgie (tympano-mastoïdectomie) permettra d’éliminer le sac de cholestéatome et d’éviter les complications graves. L’intervention consiste à ouvrir la mastoïde, retirer l’ensemble du cholestéatome et des zones érosées, puis reconstruire le tympan et la chaîne ossiculaire si possible. Après chirurgie, une surveillance prolongée est nécessaire car les cholestéatomes peuvent récidiver. Parfois une seconde intervention (mastoïdectomie secondaire) est programmée 6 à 12 mois après pour vérifier qu’il n’y a pas de résidu (ou l’usage de l’IRM de diffusion à intervalle régulier peut aider à dépister une récidive). En post-op, des otorrhées séro-sanglantes modérées sont habituelles jusqu’à cicatrisation, traitées par des soins locaux et gouttes si besoin. Si un cholestéatome n’est pas opérable d’emblée (état du patient), on peut tenter de le stabiliser par des soins réguliers et des antibiotiques locaux, mais cela reste une solution palliative à court terme.
Otite tuberculeuse : Le traitement est avant tout médical. Une quadrithérapie antituberculeuse (isoniazide, rifampicine, pyrazinamide, éthambutol) est instaurée pour une durée de 6 à 12 mois selon les protocoles de tuberculose extrapulmonaire. Ce traitement aboutit généralement à la guérison complète de l’infection, avec assèchement de l’otorrhée en quelques semaines. Cependant, les séquelles auditives peuvent être importantes (perforations tympaniques multiples, destruction ossiculaire) – une chirurgie réparatrice (tympanoplastie) sera envisagée secondairement une fois la tuberculose guérie et stabilisée. Par ailleurs, il faudra rechercher et traiter d’éventuelles autres localisations de la tuberculose (poumon, ganglions…), et dépister l’entourage si nécessaire. Les soins locaux de l’oreille (aspiration du pus, gouttes antiseptiques) sont complémentaires. En cas de complication (mastoïdite tuberculeuse, paralysie faciale), une mastoïdectomie chirurgicale d’urgence peut s’avérer nécessaire en plus des antibiotiques.
Traumatismes et perforations tympaniques : Pour une perforation traumatique du tympan non compliquée, la conduite est en général conservatrice. On maintient l’oreille sèche (précautions eau, pas d’instillation inappropriée) et on surveille la cicatrisation spontanée du tympan sur 4 à 6 semaines. Des gouttes auriculaires antiseptiques (type alcool boriqué) ou antibiotique non ototoxique peuvent être prescrites pendant quelques jours en prévention d’une surinfection, surtout si le conduit était souillé par le traumatisme. Des antibiotiques per os ne sont justifiés qu’en cas de contamination (par exemple traumatisme par objet sale, blast en milieu aqueux) ou si une otite moyenne survient secondairement. La plupart des perforations traumatiques se referment d’elles-mêmes; si ce n’est pas le cas au bout de 3 mois, une tympanoplastie est indiquée pour fermer le tympan de façon définitive (et améliorer l’audition). – En cas de barotraumatisme avec otorrhée, on applique les mêmes principes : repos de l’oreille, décongestion nasale (vasoconstricteurs, inhalations) pour améliorer la fonction tubaire, surveillance de la cicatrisation tympanique. Si des vertiges ou une surdité de perception apparaissent après un barotraumatisme (suspectant une fistule périlymphatique), une prise en charge urgente en milieu spécialisé s’impose (parfois exploration chirurgicale avec patch sur la fenêtre ovale ou ronde). – Lors d’une fracture du rocher avec otoliquorrhée, le traitement vise la fermeture de la fuite de LCR : repos strict au lit, tête surélevée, évitement des manœuvres de Valsalva, et souvent mise en place d’un drain lombaire temporaire pour diminuer la pression du LCR et faciliter la guérison spontanée de la brèche. Des antibiotiques prophylactiques anti-méningite peuvent être administrés (bien que controversés). Si la fuite persiste plus de 7 à 10 jours, une intervention chirurgicale (réparation de la brèche par voie transtemporale ou transmastoidienne) est indiquée. Parallèlement, on traite les éventuelles lésions associées : repositionnement ou reconstruction des osselets en cas de chaîne rompue (secondairement), décompression du nerf facial si paralysie faciale par compression osseuse (fracture transversale), etc. Tout trauma avec otorrhée nécessite un suivi audiologique car des séquelles auditives sont fréquentes (surdité de transmission séquellaire nécessitant parfois une ossiculoplastie ou un appareillage auditif).
Tumeurs de l’oreille (carcinome, glomus) : Les lésions tumorales malignes du conduit ou de l’oreille moyenne requièrent un traitement chirurgical lourd, souvent combiné à la radiothérapie. Pour un carcinome du conduit auditif externe sans extension, on réalise une résection chirurgicale large (pouvant aller jusqu’à une pétro-mastoïdectomie subtotale avec ablation du conduit, du tympan et des structures atteintes) associée à un évidement ganglionnaire parotidien si nécessaire. Les stades avancés ont un pronostic sombre et le traitement est palliatif (radiothérapie, soins locaux). Pour les tumeurs glomiques, le traitement dépend de la taille et des symptômes : les petites tumeurs peu symptomatiques chez des patients âgés peuvent être surveillées, mais en général on propose une chirurgie d’exérèse (tympanoplastie élargie ou abord par la base du crâne pour les glomus jugulaires) car ces tumeurs bénignes peuvent progressivement détruire les structures de l’oreille et causer des paralysies craniennes. La chirurgie des glomus est délicate (risque hémorragique élevé) et peut ne pas retirer 100 % de la tumeur – une radiothérapie stéréotaxique complémentaire est alors parfois réalisée pour contrôler le reliquat tumoral. Dans tous les cas, une tumeur de l’oreille justifie une discussion en RCP (réunion de concertation pluridisciplinaire) ORL et un suivi au long cours. Les otorrhées néoplasiques (souvent sanglantes) cessent généralement après traitement de la tumeur, mais une surinfection peut nécessiter des soins auriculaires et antibiotiques locaux pendant la période préopératoire.
Polypes inflammatoires : Un polype du conduit lié à une otite chronique doit être traité en association avec sa cause. En attendant la chirurgie de l’otite chronique (si indiquée), on peut retirer le polype au cabinet sous microscope (avulsion à la pince fine) pour dégager l’accès et permettre aux gouttes de mieux pénétrer. Cela peut stopper temporairement l’otorrhée et améliorer l’audition. Toutefois, il faut toujours analyser le polype en anatomopathologie pour s’assurer qu’il ne contient pas de cellules malignes. Si le résultat confirme un polype inflammatoire banal, on poursuit le traitement de l’otite chronique sous-jacente (voir plus haut). Si une tumeur est identifiée, la prise en charge oncologique adaptée est déclenchée.
Otorrhées iatrogènes : Après chirurgie de l’oreille, une petite otorrhée sérosanglante est courante et est traitée par des soins locaux (nettoyage du méat, renouvellement des pansements, gouttes antiseptiques). En cas d’otorrhée franchement purulente post-opératoire, il convient de faire un prélèvement bactériologique et de mettre en place une antibiothérapie adaptée (gouttes auriculaires et souvent antibiotique systémique) pour protéger la reconstruction chirurgicale. Par exemple, après une pose d’aérateurs transtympaniques, un écoulement purulent se traite par des gouttes auriculaires antibiotiques pendant ~5 à 7 jours (souvent une quinolone) – les antibiotiques systémiques ne sont réservés qu’aux échecs du traitement local ou si l’infection s’étend à l’oreille interne. Si les otorrhées sont répétées malgré les soins, il peut être envisagé de retirer l’aérateur en cause. En postopératoire de mastoïdectomie, si une otorrhée fétide persiste cela peut évoquer un foyer résiduel (cellules mastoïdiennes non assainies) ou une réinfection de la cavité mastoïdienne – un bilan d’imagerie peut être nécessaire et une ré-intervention discutée. Pour les fuites de LCR post-chirurgicales (otoliquorrhée), les mesures sont similaires à celles des fractures : repos, pansement compressif, drainage lombaire éventuellement, et reprise chirurgicale si la fuite ne se tarit pas spontanément sous 5-7 jours.
Corps étrangers : La prise en charge d’un corps étranger du conduit auditif doit être prudente. L’extraction instrumentale en consultation ORL (souvent sous microscope) permet de résoudre le problème dans la plupart des cas. Une anesthésie locale du conduit (xylocaïne) peut aider à diminuer la douleur chez l’adulte; chez l’enfant non coopérant, il faut parfois recourir à une courte anesthésie générale pour retirer l’objet en toute sécurité sans léser le tympan. Après extraction, on évalue l’état du conduit et du tympan : s’il existe une inflammation ou une petite plaie, on applique des gouttes auriculaires antiseptiques ou antibiotiques pendant quelques jours. Si une perforation tympanique a été occasionnée, on la traite conservativement (voir perforations traumatiques). L’otorrhée causée par le corps étranger cessera dès que le corps étranger infecté est enlevé et que le conduit est nettoyé et traité. Un contrôle à quelques jours est souhaitable pour vérifier la guérison.
Dermatoses du conduit : Le traitement des eczémas et autres dermatoses du conduit repose sur des corticoïdes topiques (crèmes ou gouttes auriculaires à base de stéroïdes) pour calmer l’inflammation et le suintement. On peut utiliser des préparations en gouttes contenant du acetate d’hydrocortisone, ou appliquer délicatement de la crème corticoïde sur les parois du conduit (en faisant attention de ne pas trop en mettre si le tympan est perforé). Si une surinfection s’est greffée (fréquent, ex. eczéma surinfecté), on associe un antibiotique local ou antifongique local selon le germe en cause (par ex. otite externe fongique sur dermatite : laver au sérum, assécher, instiller des gouttes antifongiques type acide acétique ou antifongique imidazolé). L’éviction du facteur déclenchant est importante : allergène (éviter certains produits cosmétiques, prothèses auditives mal tolérées), irritation mécanique (ne plus utiliser de coton-tige), etc. Une fois la crise passée, un suivi dermatologique peut être utile pour gérer le terrain (dermatite séborrhéique, psoriasis…) de façon à prévenir les récidives.
Pour les médecins ORL, la prise en charge d’une otorrhée en consultation nécessite une prise en charge méticuleuse :
Interrogatoire précis – Recueillir l’histoire de la symptomatologie : date de début et mode d’installation de l’écoulement (brutal vs progressif, contexte d’otite aiguë vs otorrhée chronique traînante), nature de l’otorrhée perçue par le patient (purulente, malodorante, sanglante, claire), facteurs déclenchants (bain, voyage en avion, traumatisme sonore ou physique), symptômes associés (douleur, fièvre, vertiges, bourdonnements, paralysie faciale, céphalées). Noter les antécédents ORL du patient : otites répétées dans l’enfance, chirurgie de l’oreille, présence d’aérateurs, radiothérapie de la tête et du cou, etc. Rechercher les facteurs de risque : diabète, immunodépression, tuberculose connue, corps étranger possible (chez l’enfant). Cet interrogatoire oriente déjà fortement la suite.
Examen otologique complet – Faire une otoscopie minutieuse des deux oreilles. Devant une oreille qui coule, il est souvent nécessaire de nettoyer d’abord le conduit (aspiration des sécrétions, retrait des croûtes) pour visualiser les structures. Utiliser le microscope opératoire en consultation améliore grandement la précision du diagnostic (visualisation de petites perforations, de cholestéatome attical, de polypes naissants…). Ne pas oublier d’examiner l’oreille controlatérale, qui peut donner des indications (présence d’une perforation ancienne controlatérale suggérant un terrain otitique chronique bilateral, par exemple). Palper le tragus et mobiliser le pavillon pour tester la douleur (signe de l’otite externe) et palper la région mastoïdienne à la recherche de signes inflammatoires (douleur, tuméfaction en rétro-auriculaire en faveur d’une mastoïdite). Inspecter également le nez (éliminer une cause rhinogène, vérifier l’état de la muqueuse nasale et de la trompe d’Eustache) et la gorge (hypertrophie adénoïdienne chez l’enfant favorisant les otites, rechercher une atteinte amygdalienne suspecte dans le cas de la tuberculose ORL comme décrit dans l’observation citée plus haut). Évaluer les paires crâniennes (sourire symétrique pour le VII, examen des yeux et de la déglutition pour d’éventuels signes de foyer intracrânien).
Identifier l’origine de l’otorrhée – Une fois l’examen fait, déterminer si l’atteinte prédomine au niveau du conduit auditif externe ou de l’oreille moyenne, ou si c’est une combinaison des deux. Repérer la présence d’une perforation tympanique, d’un tympan normal (donc suspecter une cause externe), d’un corps étranger, d’un polype, etc. En consultation ORL, il est souvent possible de diagnostiquer immédiatement la cause de l’otorrhée : par exemple, un furoncle du conduit, une otite externe diffuse, une otite moyenne aiguë perforée, une perforation sèche ancienne avec otorrhée active, etc.. Si la cause n’est pas évidente et que l’oreille est propre, on pourra déjà programmer les examens complémentaires (audiogramme, scanner) sans attendre.
Examens complémentaires judicieux – Prescrire les examens paracliniques en fonction de la suspicion diagnostique. Audiométrie si hypoacousie présente ou pathologie chronique connue, pour documenter l’atteinte. Scanner des rochers en cas de suspicion de cholestéatome, de complication (mastoïdite, labyrinthite) ou de traumatisme violent, ou si l’otoscopie est insuffisante pour visualiser la lésion. IRM si suspicion de tumeur vasculaire (glomus), d’extension intracrânienne ou pour recherche de cholestéatome résiduel. Prélèvement bactériologique si otorrhée purulente traînante ou après échec d’une première ligne d’antibiotiques. Ne pas hésiter à réaliser un prélèvement mycologique dans les otites externes chroniques ou après antibiothérapie prolongée, pour identifier une éventuelle otomycose cachée. Toute suspicion de tumeur impose une biopsie soit en consultation (polype accessible) ou au bloc opératoire (si lésion profonde). En cas de doute sur une fuite de LCR, mettre en place les tests mentionnés plus haut. L’ensemble de ces investigations doit être guidé par le tableau clinique pour éviter l’errance diagnostique.
Traitement adapté et information – Instaurer rapidement le traitement étiologique comme détaillé précédemment : antibiotiques (locaux ou systémiques) pour les infections, évacuation d’un corps étranger, chirurgie urgente si complication (mastoïdite nécessitant un drainage chirurgical par antrotomie, par exemple), etc. Soulager le patient est primordial : proposer des antalgiques adéquats si douleur, expliquer les mesures pour faciliter la guérison (repos relatif, oreille au sec, mouchage délicat en cas de perforation, etc.). Informer le patient sur l’importance de suivre correctement le traitement local (appliquer les gouttes selon la posologie, comment réchauffer le flacon, tirer le pavillon en arrière-haut pour bonne diffusion, etc.). Insister sur les mesures préventives : ne pas introduire d’objets dans l’oreille (les cotons-tiges sont à proscrire absolument), éviter l’eau tant que l’oreille coule (bain, piscine) en utilisant des bouchons ou de la vaseline, surveiller la fièvre et consulter en urgence si signes neurologiques ou aggravation brutale.
Suivi et orientation – Organiser la surveillance du patient. Un contrôle ORL rapproché est indispensable pour vérifier l’évolution de l’otorrhée sous traitement, effectuer les soins auriculaires (nettoyages répétés) et ajuster la thérapie en fonction des résultats de cultures ou de l’imagerie. En cas de non-amélioration ou de complication, hospitaliser le patient pour traitements intensifs (antibiothérapie IV, chirurgie d’urgence). Adressez au spécialiste approprié si nécessaire : un neurochirurgien si fuite de LCR importante ou tumeur du rocher envahissant la base du crâne, un oncologue si diagnostic de cancer, un infectiologue pour une tuberculose… Bien que les ORL gèrent majoritairement ces situations, la prise en charge peut être pluridisciplinaire.
Face à une otorrhée, les ORL doit adoptent une démarche rigoureuse : éliminer les causes graves d’emblée (traumatisme sévère, signes neurologiques, diabète + douleur évoquant une otite maligne), traiter précocement les infections banales pour éviter qu’elles ne se chronicisent, et savoir reconnaître les tableaux atypiques. Un écoulement aigu chez un patient sans antécédents est le plus souvent bénin (otite moyenne aiguë perforée ou otite externe) et se résoudra avec un traitement approprié. En revanche, une otorrhée chronique, récidivante ou associée à d’autres symptômes (vertige, paralysie, etc.) doit faire l’objet d’une évaluation spécialisée approfondie, car elle peut révéler une pathologie sous-jacente plus sérieuse (cholestéatome, tumeur). La clé d’une bonne prise en charge en ORL est de combiner vigilance diagnostique et traitement local attentif, en n’oubliant pas la dimension préventive (éducation du patient, protection de l’oreille) pour éviter les récidives et les complications.